#enfances #01 | (deux fois) trois mouvements

ce seront plutôt des types obligatoirement – à moins que je ne recherche chez elles – mais celui qui se promenait en t-shirt sur sa moto (à l’avant, un tambour) c’était un deux-temps (trois mouvements) d’un demi-litre de cylindrée – refroidi par air – made in Japan – c’est ça, j’ai retrouvé des mots écrits sur cette historie, sans doute probablement la côte de Saint-F. – il y avait des courses de côté organisées le dimanche matin, les voitures étaient gonflées, échappements libres, parfois des motos y participaient mais je n’y suis jamais allé, pas le droit l’autorisation la permission – douze ans, puis plus tard le « ah petite je t’apprendrai le verbe aimer/qui se décline tout doucement» de Léo – non, c’est assez vite passé

il portait des lunettes, un sourire cynique ou qu’il aurait voulu tel, petit, il avait peut-être plus de dix-huit ans, à peine, c’était peut-être la première terminale, ou la première tout court, il conduisait une béhème r soixante-neuf s – fourche avant triangulée – c’était probablement pour impressionner les filles, on se demande bien comment il faisait pour la maîtriser, mais oui, il y avait cette tendance à vouloir côtoyer le précipice, comme (mais ce sera plus tard, bien plus tard, quelques années au moins qu’on le verra) ce type blond en blue-jean, bottes de cow-boy un peu déhanché, un peu à l’amble, un peu en crabe légère banane des cheveux qui est mort dans sa berlinette allemande (j’avais deux ans), on jouait au rugby trois-quart aile qui fonce comme un avion, lancé je me souviens de son pied – c’était un type petit, il était léger ne supporterait jamais une bourrade il enlevait ses lunettes, sans doute avait-il peur mais on a peur dans ces années-là – la course le long de la ligne de touche, le raffut si quelqu’un tente de s’interposer, je ne l’ai pas vraiment vu, ce pied, je l’avais déjà dépassé j’ai senti mes vertèbres lombaires se plier à la chute, je ne sais plus si on a perdu

il me semble en avoir déjà parlé ou écrit sur lui, il était au coin du bar, assis adossé au mur, clope au bec, un peu plus âgé très fort au baby-foot, dents de devant serrées et marronées et peut-être vaguement gâtées du tabac, il buvait, riait, le type était maigre, trois ou quatre ans de plus tout au plus, alcool tabac buvait de l’izara, rayonnait de son esprit quand il disait « à base de poils de couilles de juif » ça l’amusait que je ne comprenne pas l’humour, ça jouait au quatre vingt-et-un, sans doute occident quelque chose, sans doute aussi contemporain de mon frère qui ne fréquentait pas cette enseigne, je ne restais guère le soir tard, lui faisait la fermeture, était ami avec le blond qui conduisait la malaguti orange, faisaient équipe au baby, s’amusaient sans doute les samedis soirs aux bals, plus tard mais qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire, plus tard ? plus tard ils seraient du genre à faire la chasse aux pédés aux abords du cirque (on pourrait mettre des italiques, on pourrait ajouter des guillemets mais non), les études non, l’usine plus tard, cette époque-là avant les événements

il faudrait chercher une date, savoir où ça commence, où ça finit – on en déduirait la vraie qualité des choses, à ce moment-là, il y a comme un chiasme, un détournement, un virage un détour bifurqué un changement de direction ou quelque chose qui ne va pas, qui ne va plus, une erreur mais c’est la réalité, il faut bien la prendre en compte sinon on devient fou pour les autres comme pour soi, on voit bien que ces choses-là ne mènent pas à grand-chose, à rien, on doit les intégrer on ne peut guère faire autrement, un peu comme cette façon devoir son corps changer, les poils l’érection les éperdument les toujours et là, c’est là que ça se termine, ce n’est pas qu’on soit quelqu’un d’autre, on a gardé sur soi encore les habits de ce temps-là, ce n’est pas qu’on ait oublié quoi que ce soit mais tout nous apparaît un peu différent, un peu comme nous-mêmes – on avance en âge

blonde gaie drôle enjouée souple aimant danser – plus tard, beaucoup plus tard

il y a une chanson du poète qui fait « qu’ce soit en grande pompe comme les gens bien/ ou bien dans la rue comme les pauvres et les chiens » – mais il a raison, jamais de la vie

il y avait un jeune type héros d’une bande dessinée qui portait le même genre de cheveux qu’elle – blonds, un peu raides, courts avec une espèce de frange partant sur le côté – pas un garçon manqué comme ça se disait mais portant des pantalons comme les garçons ce qui n’était pas encore si fréquent – ces âges-là ne vont pas au glamour, à la séduction ou au paraître – Bergounioux je crois – Brigitte ou quelque chose, le bb est certain – peut-être deux g au nom de famille, un autre devant le n, c’est possible oui – blonde, la comédienne était dans l’air, bombe sexuelle se dirait d’elle par anachronisme, ça ne se parlait pas comme ça (il y avait ce type qui plus tard jouerait le rôle d’un médecin qu’on perdrait dans les sables du désert, cet allemand, Curd Jurgens) (ça reste marqué à cause de la vengeance, quelque chose comme un sentiment brut et idiot on dira stimulus réponse) – ou alors ce n’était que sa jeune présence sur terre comme la mienne – très douée dans les disciplines enseignées (le don, comme si ça voulait dire quelque chose, le travail peut-être, l’appétit l’appétence, la joie de comprendre oui), plus tard elle sautera une classe, avec ses cheveux raides et son joli sourire, quelque chose comme des excuses d’être aussi forte en tout – les premiers prix raflés dont l’un était un matériel intitulé « le petit imprimeur » d’autant moins adapté à elle qu’il était au masculin (j’obtins un livre, elle premier prix le coffret) (il y a aussi là de la revanche, mais sans le dire comme d’habitude, je l’aimais bien)

cette même année, la première ici, une autre mais brune – si on le demande, son prénom était quelque chose comme Sylvie, des lunettes et les cheveux longs et soignés – une allée d’elle me séparait, elle était assise là, robe à fleurs et tablier, le bras gauche sur le banc (assujetti au bureau dont la table pivotait pour laisser la place, dans cette sorte de tiroir immobile, aux cahier et trousse, les trucs indispensables qu’on a (au début) neufs et puis qui s’usent et qu’on remplace un peu), l’autre sur le bureau (l’encrier était à droite, on l’emplissait à certains moments, sans doute en début de journée, on avait aussi à nettoyer au papier de verre (on avait à en apporter) les bureaux, les taches d’encre violette, le porte-plume, la sergent-major ce genre de réminiscence aussi) – plus dans l’après-midi, elle avait une façon de se mouvoir, sur son banc, quelque chose d’incompréhensible, plus fort qu’elle sûrement, les mains tenant fermement les bois, elle bougeait d’avant en arrière une obsession un ordre – le cours continuait, l’après-midi le type était un peu pris de boisson, il y avait aussi des séances de repos, on croisait les bras sur la table la tête à l’intérieur du refuge on avait à dormir – sinon à méditer – sans bruit surtout – une école normale de cette époque et cette Sylvie qui transpirait, un peu rouge sans en être confuse

plus tard, pourquoi Sophie je n’en sais rien, mais une grande fille queue de cheval et lunettes, mélancolique peut-être, jupe longue (on s’attachait alors aux vêtements, ça commençait les formes prenaient le dessus, les regards attirés les blagues idiotes le manque de répartie) mais elle était grande, tellement sérieuse, peut-être rarement un rire, vaguement, à une boutade, j’étais au fond, on nous plaçait en début d’année on reprenait les mêmes et on recommençait, il y avait à ma gauche un grand type, je me souviens de son nom, grand et fort, elle était devant à la droite de l’estrade où se tenait le bureau, près de la fenêtre, tellement sérieuse, appliquée, savait ses leçons au cordeau – latin français étaient enseignés par le même prof, gominé, cinquante ans vieux beau brun vers le sel, peloteur des jeunes filles mais pas d’elle, costume trois pièces pochette, pouces aux poches du gilet, faisant ce qu’il croyait être de l’esprit, la félicitant sans ce regard libidineux qu’il portait à d’autres, elle était un peu loin mais pour elle, une vraie tendresse qu’on n’appelle pas comme ça, dans ces moments-là, mais véritable

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

Un commentaire à propos de “#enfances #01 | (deux fois) trois mouvements”

  1. terrible, lui faisait un peu confiance à celui du bar, lui voulais qualités cachées mais s’est démoli au fil des mots (serais toujours mauvais juge moi)
    par contre ai aimé le climat qui les baigne, pas tout à fait le mien mais tout de même presque du même temps