#enfances #03 | Prendre la parole imposer sa présence ouvrir

(1)

Frapper à la porte. Attendre. Attendre encore. Quand les ruines l’auront autorisé quand les ruines m’auront remarqué toléré par le silence j’ouvrirai. Attendre, attendre. Je m’imposerai. Frapper timidement caresser la porte avec précaution attendre l’apocalypse,
s’éloigner enfin.

(2)

Frapper à la porte imposer sa présence partir, peut-être.
Les murs ont grondé. Incessant le brouhaha fissure mon crâne. Les murs ont des rires moqueurs. Dehors le ciel est gris. La cendre a tout recouvert. Les ruines sont partout, partout. Je sens la terre s’ouvrir m’avaler.

Un hurlement de colère m’a arraché à mes rêveries.

Le brouhaha qui s’était tu reprend. Je me fais tout petit. Invisible. Je n’ose pas remuer. Je ne fais aucun bruit. Je m’efface. La moindre parcelle de moi m’encombre. Je ne sais pas quoi faire de mon corps.
La main de l’enfant est lourde. Ses oreilles écorchées. Son regard fuit. Il cherche. L’horloge est dans son dos. Le temps se traine. Les murmures des stylos médisants griffent le papier une forêt de doigts se lève. Les minutes sont des heures. Des ruines, partout des ruines. La porte claque dans le vent.

Je cherche une issue de secours.

La craie crisse sur le tableau noir.

(3)

La peur ne cessera pas, partout elle grouille, menace, et l’enfant veut lever le doigt sa main est lourde ses bras ne répondent pas. Des doigts déchirent le ciel
ils l’encerclent,
à jamais perdu.

Les ruines sont partout les ruines se chevauchent des ruines des ruines à perte de vue s’accrochent à mes pieds me rentrent par la bouche me lacèrent la gorge j’en ai le crâne plein,

la fin des temps frappe à la porte.

(4)

La peur ne cessera jamais,
pourtant parfois tu te sens porté quelque chose en toi remue et tu voudrais défier l’univers — tu as honte de te mettre trop en avant — leur crier ce qui te ronge ce qui te brise ce qui te déchire leur dire ce qui te tue ce qui te donne encore la force d’avancer et de rire et de chanter et de danser — tu as brisé le silence bientôt tu te sentiras honteux — leur crier et cette chose que je peine de plus en plus à contenir se débat cette chose en moi fait trembler les murs et la terre et le ciel.

(5)

Tu t’en vas tu veux partir tes jambes sont lourdes aussi,
tu appelles tu veux appeler ta voix ne porte pas.

La porte est fermée.

Las et fatigué tu attends que la cloche sonne la fin de la journée.

(6)

Ma voix
boiteuse informe grince
pestilentielle porte des tempêtes et des épidémies je sens en moi gronder
l’univers infiniment croitre et les rocheuses lames que j’enfante déchirer le ciel s’effondrer le monde
haïssable
les ruines s’entasser
se suspendre à ma voix
et en moi
vibrer
mille ouragans indomptables.

(7)

Ouvrir,
pour quoi ?

Pour tous les regards qui me dévorant me piétinant offerts à moi m’offrant leur humanité leur chaleur leur lumière leur amour ont des choses à me dire des histoires à me raconter ce sont mille et mille vies terribles laides misérables que je veux connaitre,

et j’accepte mon sacrifice la souffrance qui déjà se love en moi,

parce que ce que je veux
du plus profond de moi,

c’est m’offrir à eux.

(8)

Prendre la parole imposer sa présence ouvrir.

Je veux qu’on m’entende qu’on me sache vivant gonflé de rires de chants de danses. J’ai moi aussi des choses à dire. Je veux parler. Parler encore. Ma voix parfois fait trembler les murs. On saigne à m’écouter. J’exaspère. Ma voix vole fend l’air minée de regrets tordue cabossée,

et s’il m’arrive encore d’avoir honte de ce que je suis de ce que je donne à voir s’il m’arrive encore de vouloir disparaitre qu’on n’entende plus parler de moi
maintenant que je suis lancé,
je ne sais plus m’arrêter.

La cloche de l’école sonne.

Il faut que je rentre chez moi.

6 commentaires à propos de “#enfances #03 | Prendre la parole imposer sa présence ouvrir”

    • Merci. Les consignes de l’atelier d’écriture, c’est vraiment l’occasion de parler de choses très personnelles et qui, en même temps, concernent beaucoup de monde. J’ai aimé écrire ce texte.