#enfances #01 | tourniquet

Pas loin, derrière la grille sur laquelle s’appuie le poulailler, un terrain vague où s’installe un chapiteau, un ou deux mois, repartent, reviennent. Les regarder monter l’immense tente est un grand bonheur du père. La plupart du temps nous les regardons de la grille de la maison mais soudain, n’y tenant plus il nous entraine : chèvre, cheval, rarement un dromadaire, courir avec les enfants, caresser l’âne entre les oreilles. Une jeune femme longue et fine souvent de rouge drapée fait tourner tellement vite un petit cheval blanc autour de la piste. Son visage peut être bouge, je ne l’ai jamais vu mais son corps est immobile, elle ne dit rien le seul bruit c’est celui, mat, des sabots du cheval. Je suis sûr qu’elle lui parle, ils paraissent si complices, plus vite, moins vite, arrête toi. Parfois elle se met à tourner lentement, en sens inverse du cheval blanc. Je n’ai rien vu d’aussi beau.

Il restait debout, un homme grand que je devais aller voir pour pouvoir habiter l’appartement. Monsieur Lelièvre. Ce n’est pas une main tendue, un sourire peut être, c’est la première fois que je le voyais mais son nom était célèbre en Sarthe d’où je venais. Il avait été séquestré par Mesrine il était milliardaire et il voulait signer lui-même et face à face tous les contrats avec ses locataires. De lui, je n’ai gardé que le nom, son visage s’est évaporé, est ce lui, son fils que j’ai rencontré ? Quelques jours plus tard, Pierre Goldman était assassiné, j’arrivais à Paris, de ça j’ai retenu Sartre et Beauvoir. Une enfance qui commence à 28 ans.

Il fallait traverser la ville mais c’était joyeux dans la 4CV. Il était graveur, il avait des mains de fée, chez lui il avait installé un petit atelier où il gravait nos médailles, pour lui, pas pour le patron. Il avait certainement un grand cahier avec des modèles sainte vierge, communion, anniversaire. Pour ma mère, son grand frère c’était mieux que de Gaulle c’est dire. Il la faisait rire, ils avaient passé une bonne enfance d’amour et de solidarité, ça se sentait et ça s’est arrêté avec leur génération.

A propos de bernard dudoignon

Ne pas laisser filer le temps, ne pas tout perdre, qu'il reste quelque chose. Vanité inouïe.