#enfances #03 | Asie(1)

Retour de Roissy, le monde entier dans l’aéroport puis dans le RER. En à peine trente kilomètres, un voyage entre langues, couleurs de peaux, vêtements. Après, dans le métro, ces enfants, un groupe, une classe peut-être, l’œil vif, l’énergie à fleur d’oreille, clavier de téléphone alerte. Savent ils que, dans ce wagon, à quelques centimètres d’eux, quelqu’un dont l’habitude est d’avoir raison, de vivre sans question, à qui personne n’a jamais demandé tu viens d’où ? ni insisté Oui mais avant, d’où ? de ne jamais avoir été contesté dans son identité d’homme blanc, quelqu’un les regarde et, sans malice, se dit qu’ils pourraient être perdus, l’idée l’effleure qu’ils pourraient ne pas être d’ici.
Leur professeur a dit musée — il a peut-être dit palais — de l’immigration. Il m’a donné l’idée. L’après midi, je les retrouve. Qu’ont-ils fait depuis ce matin quand je les ai quittés à dix stations d’ici ? Visité l’expo permanente, l’aquarium, allez savoir, en tous cas ils sont dans l’expo Asie(1) sur l’immigration asiatique, moi aussi. Chine, Vietnam, révolution culturelle, boat people, khmers rouges, ça parle des tours du 13ème et de tant d’autres choses, ça parle de la possibilité d’être.
Sur la vidéo cette dame raconte qu’en Chine ils voyaient la France comme un eldorado, on trouvait de l’or par terre et puis elle a voyagé de passeur en passeur, de rêve en rêve, elle n’a pas de papiers, va falloir rester cachée, perdue.
Une médiatrice du musée leur expliquait, ils écoutaient dans un chahut discret, enfants d’ici, ça sert à quoi de vous dire une histoire qui n’est en rien la vôtre. Et pourtant quelque chose me dit que vous pourriez imaginer ce que ça aurait pu être, ce que ça a peut-être été un jour pour vos parents pas venant du même endroit mais on s’en fout. La dame raconte l’effondrement, une fois de plus le statut de réfugiés leur échappe, de son rêve d’avoir un petit commerce, de faire quelque chose de joli, ils vont encore travailler pour un autre, vivre par procuration.
Vos rires si forts au début sont de moins en moins sûrs. Faut dire que 100 000 mecs envoyés comme chair à canon pendant la première guerre, même s’ils n’avaient pas la même couleur que toi, ça calme et quand tu es arrivée devant la vidéo de la dame qui raconte son envie de vivre, tu t’es dit qu’au diner ce soir, derrière leurs lunettes rondes tes beaux yeux noirs seront moins vifs quand ta mère demandera ce que vous avez vu d’intéressant aujourd’hui et que tu raconteras la vidéo de la dame, embués.

A propos de bernard dudoignon

Ne pas laisser filer le temps, ne pas tout perdre, qu'il reste quelque chose. Vanité inouïe.