#enfances #04 | La truffe de l’ours

La truffe de l’ours, le goût de sa truffe, l’ours n’a qu’un œil évidemment, je veux dire comme tous les ours il n’a qu’un œil, comme tous les ours en peluche, il lui manque un œil, il lui manquera un bras, son ventre se déchirera et je verrai ce qui le remplit, la mousse, les morceaux de mousse jaune qui déborderont de la plaie du ventre ouvert, plus tard. La truffe en plastique d’un rouge-brun passé plus clair sur la pointe, un cône assez large pour remplir la bouche, lisse, le bout plat et arrondi. Sentir la salive couler à la commissure des lèvres et aspirer le goût. Les dents peuvent la mordre, elle résiste, une truffe solide, plus solide que l’œil de l’ours, ce bouton en verre disparu. Il reste l’autre solitaire pas triste pourtant. Des boutons partout qui grattent, ne pas gratter, saupoudrer de poudre jaune — un jaune vif souffre c’est improbable résister ne pas vérifier — pour empêcher les démangeaisons. Des boutons — varicelle, rougeole, trop flou, envie de regarder dans le carnet de santé résister — pas de boutons pour les oreillons des ganglions pas des pustules purulentes. Des ganglions c’est peut-être plus grave. Rester en pyjama toute la journée, l’ours aussi en pyjama. Son pyjama confectionné par la tante couturière dans un reste de tissu léopard, elle aurait pu recoudre l’œil — ours léopard résister au commentaire. Le droit de s’installer dans le grand fauteuil bleu en velours, réservé aux grands les autres jours, le dossier peut s’incliner, allonger les jambes sur le pouf assorti, le cube en velours bleu. Le fauteuil à côté de la radio et du tourne disque — ce mot existe semble étrange vérifier ne pas résister — une cicatrice, sa fine trace encore possible à deviner au-dessus de la lèvre blessée sur le petit morceau de métal du fermoir. Le goût de la truffe de l’ours, le goût des voix — si c’est possible — à la radio Ménie Grégoire Françoise Dolto sur le tourne disque le 33 tours des Lettres de mon moulin, Fernandel, L’élixir du révérend père Gaucher — retrouvé sur Gallica pas pu résister — le 45 tours des fables de La Fontaine, Gérard Philippe, Le loup et l’agneau et qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? Sa voix qui enfle jusqu’au point d’interrogation et la petite voix de l’agneau  — impossible depuis de réciter autrement — l’ours est bien serré. Le goût de la truffe de l’ours, le goût du grand livre des fées, assez grand pour disparaître derrière, sa couverture rigide reliée de toile bordeaux, s’assoir sur un coussin au sol, il tient debout, ou s’allonger sur le grand lit seulement ces jours-là. S’abriter sous le champignon, la maison d’un lutin, chapeau rouge avec des points blancs. Glisser dans une cosse de haricot toboggan. Un elfe navigue dans une coquille de noix. Se baigner dans la goutte d’eau restée au creux d’une écorce. S’endormir dans une feuille, hamac de fée suspendu entre deux tiges. Une infinité de détails attendus, cherchés, retrouvés dans chaque page à leur place, des dégradés de couleurs pastels pour faire baisser la fièvre. Les oreillons empêchent de sucer la truffe quand déglutir est trop douloureux comme pendant les otites ou les angines. Avaler seulement de la glace alors ou c’était après les amygdales, opérer les amygdales et les végétations, retirer des morceaux de chair rouge— les amygdales et les végétations venaient toujours ensemble déconseillé à présent — La voix du docteur E. est feutrée comme voilée il est poli avec l’ours.

A propos de Isabelle Charreau

j’arpente plus facilement les chemins de terre que les pavés de la ville, je fréquente l’atelier pour le plaisir comme des gammes, sans projet de partition