#enfances #08 | Marx, le mortier et la petite robe blanche

Je ne sais pas jouer aux billes, pas bien, j’aime assez la couleur, il y a des noms différents, en fonction de la taille, en fonction des incrustations, les agate ça vaut rien, ça vous regarde pourtant même la nuit avec des yeux jaunes de chat, ça fait tic tic dans le sac, tic tic tic, les billes cliquètent, j’apprends la fortune, l’accumulation et l’échec, un empire peut s’effondrer en un jour, lui il a un boulet, un boulard, quelques calots, il a un boulard pépite, vous imaginez, des heures de troc, un héritage familial sur plusieurs générations ou plus rare, le talent et l’adresse, la cour est craquelée et crevée de trous, c’est là qu’on vise, au bas des murs aussi, là c’est plus facile, c’est des trous larges et la bille choque contre le mur puis s’en va dans le trou, il y a des horizontaux, des vicieux, le pouce parallèle au sol et paf, dans le trou, il y a les plus timides, les classiques, l’index perpendiculaire au sol, ça fait plus mal aussi, le travail ou l’héritage, Marx est planqué dans le bac à sable, Marx et son chat et ses gros yeux jaunes, ou alors ça s’est pas tout à fait passé comme ça, il y a aussi la marelle et l’élastique aussi, et ces chansons que l’on chante en tapant dans les mains chaque fois différemment, le monde est d’une complexité folle, j’ai 8 ans, je suis rincée.

On en a fait des murs, des pyramides, des bâtiments indestructibles, pas tant ancien comme matériau pourtant, ça résiste, ça sèche, on en a fait des cataplasmes, on l’a coulée aussi sur certaines routes pour réparer le bitume, ça reste, ça se tasse, c’est la quatrième maison des trois petits cochons qui est faite avec ça, le loup ne vient même pas, ce n’est pas la peine, elle reste debout, elle reste debout en cas de choc sismique, elle est isolée en cas de catastrophe nucléaire, personne n’y avait pensé à l’utiliser pour ça, il a fallu un jour un élève ingénieux pour se dire qu’on pouvait faire tout ça oui, et plus encore, avec la purée de la cantine.

Mon habit de crasse, mon habit de boue, la robe était blanche, la jolie petite robe blanche, qui n’avait jamais connu le bac à sable, n’avait jamais connu les ronces, n’avait jamais connu les flaques, et les branches des arbres – elle est si mignonne – n’avait jamais connu les roulades et les coups – ses bonnes joues rouges de petite fille, on en mangerait – n’avait jamais connu le tourniquet qui vous file des vertiges et des nausées que certains s’envolent à cinq cent mètres de la cour et qu’on ne les retrouve jamais, elle avait des volants, elle était doublée la jolie petite robe blanche, qui n’avait jamais connu la barre de chocolat à quatre heure quand c’est chaud quand ça fond quand ça coule, quand ça en fout partout, n’avait jamais connu les ciseaux et la colle et le compas qu’on égare sur la peau, sur le tissu, là où c’est fragile, là où c’est mou, là où ça marque, elle avait un si joli col claudine la petite robe blanche avec sa doublure élégante et ses manches brodées – la gentille petite fille…

A propos de Marion T.

Après tout : et pourquoi pas ?

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