#autobiographies #01 | Une maison dans la ville

Accrocher aux branches du pommier le Iinge humide, juste défroissé, frais encore du rinçage à l’eau froide. La robe se gonfle à la brise, corps dansant parmi les feuilles, blanche sur vert. L’émotion sur ton visage, un fin sourire. Un rappel. Pommier séchoir, bras et mains recréant une histoire ancienne, passé surgissant dans le présent nouveau pour l’un et l’autre.

On tourne autour de la maison, petite maison de bois qui ouvre sur la rue avec son auvent ponctué d’une touche surannée d’hortensias roses, et sur un grand jardin à l’arrière. Sous une tonnelle dressée cinquante ans auparavant, on rêve de s’enfoncer longtemps à l’abri de branchages, les mains du père les nouant patiemment, au-delà de sa disparition ; le ciel emplit le regard d’un carré bleu, un carré grandissant au sortir de l’abri, et l’on ressort, un coup d’œil vers l’arrière où l’abri demeure.

Là poussaient les salades et les blettes, poireaux, oseille, choux, dans des carrés plus ou moins rectilignes, des bancs allongés destinés aux herbes : ciboulette, coriandre, persil, aneth, estragon. Marquage au sol de cette géométrie jardinière protégée d’un fin grillage qui tenait les poules éloignées des semis. Les volatiles grattant, picorant, caquetant, lorgnant du bec ce qui leur échappe. Poulettes dorlotées, qui jaillissaient dans un battement d’ailes au milieu de la cuisine ou sur le canapé. La mère devinée, morte déjà, imposante dans son tablier sans âge, riant de ses dents abîmées face à l’enfant.

Sous le noyer immense se rassembler. Admirer le jardin, ses allées, la petite maison, les anciens clapiers, les deux cerisiers, le bassin de béton serti de céramique multicolore, le puits. Lever la tête vers l’avion et sa traînée blanche parce que son écho sourd avertit de son passage. Le regarder longtemps traverser la portion de ciel au-dessus du jardin jusqu’à se perdre dans les branches hautes du noyer. Se taire.

Au plafond, une moulure des années cinquante, On rêvait de la colorier, de peindre tout ce blanc. Tu parles de la chambre des filles. Au plus haut du lit superposé, on avait envie de caresser des doigts la guirlande ronde de feuilles d’acanthes suspendues. Les plus grandes des sœurs grondaient les plus petites, leurs cris agaçaient les parents, tu disais. La moulure a survécu aux années. Au sol, la trace d’un poêle à bois maintes fois chargé durant les hivers, gueule ouverte flamboyante, on y entassait les bûches, le crépitement seul réchauffait la pièce. Ta parole, ta voix.

A propos de Marlen Sauvage

Journaliste longtemps. Puis dans l'édition. Puis animatrice d'ateliers après une formation Elisabeth Bing et DUAAE à Montpellier. J'anime encore quelques stages d'écriture, ai contribué aléatoirement au site des Cosaques des frontières, publié quelques livres – fictions et biofictions – participé à plusieurs ouvrages collectifs. Mon blog les ateliers du déluge.

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