#enfances #09 | Chambre bleue

Une chambre aménagée dans le grenier, la porte à gauche sur le palier d’un escalier sans contremarches coincé entre un mur de pierre et une rambarde de poteaux ronds métalliques rouges, bleus ou jaunes, assez espacés pour passer un bras ou même deux, un orgue bigarré. La lumière s’impose dans mon souvenir de la première fois, la lumière de la chambre bleue, une chambre lumineuse et bleue. Un parquet clair, je connais les endroits où il craque sous les pas (le parquet craque souvent dans nos chambres). Pourtant la pièce est sombre, le jour pénètre seulement par une fenêtre étroite et basse, peut-être à cinquante centimètres du sol. On peut s’y pencher, on peut l’enjamber pour descendre sur la plateforme de béton sans balustrade au-dessus du perron du pavillon. La porte d’entrée de la chambre fait face à la fenêtre, le plafond est mansardé, une belle hauteur sous la poutre faitière. J’ai tout de suite aimé le lit simple à structure métallique calé dans l’angle à côté de la fenêtre et l’applique à sa droite qu’on allume à l’aide d’une cordelette au bout phosphorescent, une cage en osier, un oiseau en papier s’y balance sur un perchoir. Beaucoup de monde sur les rideaux assortis aux coussins, au traversin et au couvre lit, dessins bleus sur fond blanc de la toile de Jouy, des biches sortent du bois, des femmes en robes longues assises sur l’herbe pour un déjeuner ou dans des barques sur un lac avec leurs ombrelles, des hommes en canotiers leur proposent des fruits ou guident les bateaux, des lapins les regardent depuis les buissons, les scènes différentes se répètent à l’infini, on peut passer de longs moments à repérer les rythmes qui les organisent. De l’autre côté de la fenêtre dans une vitrine éclairée par un néon, des poupées de collection aux yeux fixes, un meunier aux joues noires de suie avec son échelle et une cigogne en coquillages et chenilles de velours pour les pattes. A gauche de l’entrée un pupitre d’école fait face à un tableau sur chevalet, avec les craies et l’éponge, une poupée et un ours sont assis sur le banc. Derrière le tableau un bureau de bois avec trois tiroirs et une chaise. Sur le mur de droite un radiateur en fonte, bleu comme les murs, les murs sont bleus, un bleu clair, et un grand miroir, on peut s’y voir entièrement, on peut y voir la fenêtre, on peut voir le ciel par la fenêtre dans le miroir, il faut s’allonger devant. Face à face, de chaque côté de la pièce, deux portes basses pour l’accès aux greniers sous la pente du toit, j’ai toujours eu un peu d’inquiétude pour ce que j’imaginais derrière ces portes.

A propos de Isabelle Charreau

j’arpente plus facilement les chemins de terre que les pavés de la ville, je fréquente l’atelier pour le plaisir comme des gammes, sans projet de partition

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