#enfances #09 | chambre pour deux enfants

On y entre par une porte qui sonne creux à battre le châssis et qui, mal ajustée, laisse passer un filet de lumière en haut et en bas, bruit et rais bien reconnaissables et rassurants, mais on ignore à quel moment la chambre a commencé à exister dans la configuration dont on a gardé mémoire ni quel âge avaient alors ses occupants, une chambre conçue pour deux enfants, pas si petite d’ailleurs avec porte en bois beige équipée d’une drôle de poignée en zinc, parquet sombre — du châtaignier mais ça n’est pas certain —, pas de bruissements provenant de l’extérieur sinon le vent, et sans doute a-t-elle été au tout début bien plus grise et triste et sommairement meublée, juste les lits, murs béton brut, pas même de peinture, plafond chaulé avec petites écailles et boursoufflures dans les angles à cause des mauvaises conditions de séchage au moment de la construction de la maison et des infiltrations d’hiver liées aux fortes tempêtes, une chambre aménagée à mesure du peu d’argent qui rentre et peut être consacré à l’achat d’un couvrepied en plumes d’oie et taffetas rouge ou d’un meuble cosy pour y accoler le plus large des lits — puisqu’il en faut deux, ils grandissent —, les compartiments du meuble cosy ouvrant fermant facilement parfaits pour servir de cachette, y ranger des jeux de dés ou de cartes, des petits objets, des cahiers d’école, des images pieuses ou des bonbons à sucer dans les moments de soirée bons à se replier sur soi dans le cœur de l’ombre, une armoire ancienne pour ranger les vêtements, héritage de famille — belle d’ailleurs —, finalement tapisseries à petites fleurs pour faire propre et plus riche et aussi plus doux, peu de décorations murales sinon un grand Christ souffrant orné d’un brin de romarin flétri et quelques portraits d’eux petits, et puis ce souvenir émergeant de loin de deux surfaces colorées au sol pareilles à des tableaux, deux descentes de lit en velours avec des animaux sauvages errant dans une forêt très verte et splendide.

Photographie ©Françoise Renaud, Côte de jade 2020

Un vrai besoin d'accompagner cette quête "Enfances" avec une série d'images prises sur mon lieu de naissance à deux pas de la maison.
Je choisis à chaque fois un format vertical pour sa capacité à contenir la force inouïe du paysage et les remuements de mes impressions-souvenirs...

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

11 commentaires à propos de “#enfances #09 | chambre pour deux enfants”

  1. Quelle atmosphère ! on s’y croirait… impression de sentir l’air, peut-être le vent, sous la porte sensation de tellement « voir » le mobilier, les objets et cette belle évocation des descentes de lit qui rappelle bien comment dans l’enfance (notamment, surtout ?) quelques motifs peuvent vite nous entraîner à rêver, à fictionner…Merci Françoise

    • te retrouver, chère Muriel, au détour d’un commentaire après un long été d’échange, et toujours autour d’un lieu, cette fois une chambre d’enfance, une chambre telle qu’elle a existé et existe encore dans les petites cases décolorées de mon cerveau….
      si douce rencontre à nouveau, comme dans un rêve…

  2. (c’est amusant ces cosy corner qu’on retrouve – un peu comme les Christ) (majuscule, sans pluriel je pense) – j’adore ton « finalement » pour les tapisseries – merci…

    • tu sais combien j’adore tes attentions portées par ici…
      oui j’ai noté la même chose que toi, ces présences d’objets qui reviennent, liés à des époques et des temps de vie…

      • j’aime beaucoup ce texte, plein de coins et recoins de la mémoire, où malgré l’absence de figures, flottent encore nombreuses les réminiscences de l’enfance, les efforts des parents

  3. Bien aimé l’entrelacement de l’objet évoqué et des sensations qui parfois l’entourent, lumière, son. Et des souvenirs d’occupants.

    • chère H.
      un grand plaisir toujours à nos échanges…
      oui, la chambre semble retenir / contenir l’âme de son/ses occupant(s), je le ressens quand je regarde la chambre jaune de Vincent Van Gogh
      et j’aime l’expression que tu utilises : « souvenirs d’occupants »

      à y repenser, tous les membres de ma famille sont rattachés d’une façon ou d’une autre à cette chambre, vivants et disparus

  4. Personnellement, j’aime beaucoup ta façon de t’affranchir de la proposition, mais ce n’est peut-être que mon ressenti. Tu y es, dans la proposition, mais tu prends le lecteur par la main, toujours tu annonces un peu ta démarche, il ne se retrouve pas avec une énumération comme j’ai procédé moi-même. 🙂 Et je trouve cela très fort. D’ailleurs ton texte commence par « on y entre ». Dans la chambre comme dans ton texte. Merci, Françoise.

    • Merci Anne pour ta lecture toujours…

      j’ai eu besoin (envie) d’une seule phrase avec un sens de circulation unique, « on entre, on sort », mouvement de caméra qui balaie en ininterrompu à 360°, ça permet le glissement d’une chose à l’autre, objet ou souvenir
      de même la photo de rigole de mer avec le sens visible de la marée, l’eau qui monte ou descend

  5. Françoise décourageant passe si tard qu’entre les commentaires et tes réponses me semblait que bien rien ne pouvait être dit
    ah si, j’aime cet aménagement en fonction de l’aisance de la famille, et la taille des lits qui, en même temps, suit l’évolution des enfants

    • mais non, il est toujours temps de passer… et puis toujours des notes et remarques en réserve !
      merci Brigitte
      et c’est exactement ça, espace chambre évoluant en fonction de l’écart d’âge et de l’évolution dans l’âge des enfants habitants…