#été 2023 #03 | comme elle le disait

Comme elle le disait, le souvenir du doux regard de Jacky posé sur sa fragilité d’enfant couplé avec cette bienveillance naturelle qui lui appartenait, la fine moustache à lui identique à celle de son père à elle, leurs traits de visage ni tout à fait les mêmes ni tout à fait autre, mais tellement proches que sa perception des deux cousins s’en trouvait quelque peu confuse, sans toutefois la perturber, tout ce contexte contribuait à la maintenir dans un climat sécurisé. Elle ne le verbalisera que bien plus tard, à un âge où les éléments du passé viennent se frotter au présent, bousculer des paroles murmurées derrière une cloison, donner sens à une photo retrouvée. Cet hiver-là, il s’est mis à sa hauteur, a guidé ses pas encore hésitants, lui a parlé d’une voix qui semblait la fasciner, une voix qui s’est un jour fracturée, éteinte, éloignée d’elle jusqu’à perdre aujourd’hui la rondeur des mots prononcés. Depuis, ils se sont installés dans son moi intérieur, ont habité le lieu jusqu’à remonter une nuit de début d’automne. Anonymes et étonnamment familiers, les mots sont venus la perturber dans son profond sommeil. Ce jour-là, elle a ressenti une forme de présence, une évidence sans trop pouvoir définir l’urgence de cet appel. Je me souviens très bien de ce matin d’octobre, lorsque j’ai ouvert les yeux, j’ai ressenti au fond de moi un désordre morbide comme si l’idée de la mort se transformait en une matière solide. J’ai frissonné. Ce poids en moi alourdissait mon corps jusqu’à me faire mal. Ma respiration s’accélérait. Un état de questionnement accentué par un début de montée d’angoisse grondait en moi. J’ai cru le malheur à venir alors qu’il était déjà engagé. J’ai aperçu au loin une forme floue, comme une silhouette. J’ai voulu marcher vers elle. Je n’ai jamais pu la rattraper. Évaporée dans l’air confiné de la pièce aux contours nébuleux une forme associée à un rêve. Avais-je réellement créé cet instant ? Un appel téléphonique tôt le matin, la voix de son père, son ton hésitant. Les mots peinent à sortir, à trouver leur sens. Très vite, elle en a identifié la raison, très vite elle fait le lien. C’était bien Jacky la cause de son désordre intérieur, le cousin de son père, celui qui lui avait donné son harmonica dans un étui en plastique rouge bordeaux alors qu’elle était encore très jeune, celui au prénom magique, presque rock’n roll, qui jouait de la batterie. Il se rappelait à sa mémoire après tant d’années, une dernière pensée, un dernier au revoir. Il n’y aurait plus de retour en arrière possible. Ni cimetière ni couronne ne reste que des cendres dispersées sur la surface miroitante de la Méditerranée. C’était son souhait.

A propos de Dominique Estampes Paillard

Un jour, j’évoquerai l’ici et l’ailleurs de mon existence, j’écrirai ma fascination pour le silence des mots, je dénoncerai l’emprise de mes gènes sur les terres lointaines, je dévoilerai mon doute quotidien, j’évoquerai l’élégance de ma ville de « bord de l’eau » et encore plus mon coup de foudre pour NY, je partagerai ma passion pour l’image, la photographie, je rigolerai devant mes grains de folie, je révèlerai les nuits blanches à écrire, à lire, je dénoncerai le manque de souvenirs de ma ville natale, Casablanca, je ferai la liste de tout ce qui aurait dû, de tout ce qui aurait pu, mais encore plus de tout ce qui a été tout en me délectant du présent. Un jour, peut-être. https://unmondeauboutdurivage.com https://www.instagram.com/hoalen64/?hl=fr

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