#été2023 #03 | Le quatuor d’ami·e·s

La Mère

On parlera d’abord de la mère.
On ignore à quoi elle ressemble. Elle n’apparaît sur aucune cliché. Les photos c’est elle qui les prend. C’est donc elle qui, en quelque sorte, mène le récit. Qui le construit, qui l’anime. C’est dans ses yeux qu’on se glisse en regardant ces photos. C’est elle nos yeux, notre regard sur cette histoire. C’est elle qui nous fait entrer au creux de cet été-là. On tentera de la lire à travers ses clichés. De comprendre ce rapport qu’elle a au monde. Aux autres. Et à elle-même. C’est un personnage qui se cache derrière son appareil, derrière ses photos. Un personnage qui travaille à disparaître. Mais qui par ailleurs, lutte peut-être pour organiser des traces de son passage. On l’imagine aisément de biais, le regard fuyant. Il y a en elle un forme de tristesse, de mélancolie. Quand on sait que son mari est sur le point de la quitter, c’est une chose qu’on peut comprendre.

Le Père

Le père n’apparaît sur aucun cliché. C’est son dernier été familial, après il disparaîtra presque complètement de la vie de cette famille. Il s’en ira vivre avec une adolescente aux lèvres charnues et aux seins généreux. Une jeune femme qu’il trouve belle et qui est laide. Une de ses étudiantes, dont il doit attendre patiemment la majorité afin de ne pas être poursuivi pour détournement de mineure. En creusant un peu, bien sûr on peut retrouver quelques souvenirs. Celui d’un homme qui cuisinait des bananes cuites pour les enfants et qui brûlait la sauce caramel. Celui aussi qui avait attrapé de ses mains une bête, une fouine ? Mais qui l’ayant mordu s’était retrouvé les mains en sang. Ce qu’on peut dire encore c’est qu’il part chaque été en vacances avec ses meilleurs amis. Qui ne ne sont pas les amis de sa femme. Peut-être sa femme n’a-t-elle pas d’amis. L’homme est un ami d’adolescence. Un homme qu’il a fréquenté aux mouvements de jeunesse. La femme c’est une autre histoire.

L’amie

L’amie il la connait depuis longtemps. Il avait vingt ans, elle en avait dix sept. Ils se sont fréquentés. Il l’a courtisée. Il était amoureux d’elle, très amoureux. Puis elle a rompu. Soudain. Sans qu’il en comprenne le pourquoi. Lui était fils d’un patron d’entreprise. Son père fabriquait les premiers gaufriers électriques. Elle était fille d’un ouvrier de l’usine. La différence de classe sociale n’est pas la raison pour laquelle elle a rompu. Elle a rompu car elle a pris conscience que ce jeune homme était instable, torturé. Même si par ailleurs il était plein de charme, qu’il écrivait des poèmes et peignait un peu comme Modigliani.

L’ami

C’est depuis l’adolescence le meilleur ami du père. Il se sont connus aux mouvements de jeunesse. Ils étaient toujours fourrés ensemble. Quand l’amie quitte brusquement le père, le père est désemparé. Il ne comprend pas. Néanmoins, il achète un bouquet de fleurs. Et il envoie son meilleur ami le lui apporter. L’ami et l’amie se rencontrent. Ils se plaisent. Se fréquentent et se marient. Plus tard, le quatuor prendra systématiquement ses vacances ensemble. La mère là-dedans, coincée entre un grand amour et un ami avec qui on fait les quatre cent coups n’a probablement pas son mot à dire.

A propos de Sybille Cornet

Je n’ai pas de page Facebook ni perso ni privée. Ni d’instagram. Et pas de site non plus autour de mon travail. Je sais que question communication c’est pas top. Je vis mieux dans l’ombre. Mais je travaille à tenter d’en sortir. Je suis autrice et metteuse en scène. Principalement de théâtre jeune public. Le théâtre jeune public est un milieu qui vit un peu en autarcie. On se connait tous et toutes. Et donc la nécessité n’est pas forcément là pour me pousser dans le dos. J’ai une pièce de théâtre publiée Le genévrier chez Lansman. J’ai un texte publié dont je suis contente, une ode aux pieds nus (La matière du monde) édité chez Post industrial animism. J’ai publié des textes poétiques dans un magazine que j’adore et qui s’appelle Soldes almanach, magazine assez branque sur les nouvelles utopies. Il y a une adaptation sonore d'un spectacle performance sur le Syndrôme de Stendhal que j'ai écrit et performé ici : https://www.dicenaire.com/radioautresauborddumonde . Pour le reste, j’ai écrit et mis en scène une bonne dizaine de spectacles, adultes et enfants. Ma compagnie s’appelle Welcome to Earth. J’ai aussi fait un peu de poésie sonore. Pour l’instant je monte un spectacle pour tous petits qui raconte une amitié entre deux arbres, un petit pin nain et un bouleau. Ça s’appellera sans doute Inséparables. J’accompagne une actrice slameuse qui monte un seule en scène autour de sa grand-mère et de l’avortement. Le titre : Bête d’orage. Je fais partie d’une commission qui octroie des aides à la création aux créateurices jeune public et je lis beaucoup de dossiers d’artistes. Aussi étonnant que ça puisse paraître, ça me passionne complètement. Lire des dossiers d’intention de spectacles m’intéresse parfois plus que de voir le spectacle lui-même. J’étudie aussi la dramaturgie (mais ne me demandez par contre pas ce que c’est ok ?). Ah oui, je suis belge et je vis à Bruxelles, ville que j’aime entre toutes.