#été du roman #00 prologue | quand tu essaies d’imaginer un roman d’artiste.s sur les débris que l’on voit (ou pas) !

[…] il ne reste à mes yeux que deux occasions où l’artiste reste libre de communiquer : l’une devant l’oeuvre achevée, l’autre à l’intérieur de la vie quotidienne proprement dite,où l’on montrerait ce qu’on est devenu à travers le travail, se soutenant, s’aidant, s’admirant ( au sens le plus humble du mot ) mutuellement. Mais dans l’un et l’autre cas, on doit se montrer des résultats; et ce n’est pas manque de confiance, mépris ou refus réciproque, que de ne pas soumettre l’un à l’autre les instruments de son devenir, uniquement réservés, avec ce qu’ils supposent de désarroi et de tourments, à l’usage personnel.[…]

rainer maria rilke , LETTRES SUR CEZANNE [ le don des langues] SEUIL 1991

N’imaginer que la transformation possible dans ce livre. Quelqu’un a dit qu’il ne lui en était RIEN resté. Rien, vraiment ? Trop copieux ? Trop décousu ? Trop pompeux ? Trop répétifif ? Trop « téléphoné »? Trop simplet ? Un livre pour mômes peut-être ? Ou un livre à pedigree dans les combines de la cuisine littéraire éditoriale. Qu’importe finalement. Un livre nous arrive selon des lois qui n’ont rien de scientifique. Lui, répète qu’il n’a rien retenu de cette vieille lecture.A moins que ce ne soient que la langue et la bizarrerie du vocabulaire, son insuffisance… qui empêchent l’accès et la mémorisation. La culture ne fait que rendre le goût du livre à peu près arbitraire et aléatoire. L’attrait incertain du llivre est une donnée de départ. Mathilde lit depuis l’enfance. La découverte fut brièvement accompagnée. Très vite , elle a pris la tangente des prescriptions scolaires sauf en primaire car l’institrutrice la fascinait. Les parents se sont contentés de nourrir l’addiction avec les bouquins à tranche rose puis verte dévorés comme des bonbecs jusqu’à l’écoeurement. Celui-ci , ce fameux livre, n’était pas le premier mais il avait introduit la première sensation de liberté mentale et de frisson physique. Relu plus de cinquante ans après, la sensation est revenue, non plus intacte mais délicieuse et attendrissante. C’était donc cela la lecture ? Des mots qui vous sautent « pour de vrai  » au coeur et presque au ventre, des mots pour vous toute seule et que vous n’avez presque plus envie de partager. Des mots qui vont peut-être devenir secrets, aujourd’hui elle dirait que ce sont des sortes de mantras provisoires mais qui demandent à être remplacés. Très vite Mathilde a su qu’un livre peut en cacher un autre, comme ces histoires de trains qui défilent et ne se cognent jamais , sauf regrettable erreur humaine. Le charme et le carnage des livres sont des trains fantômes. Pourquoi, elle dit çà ? Elle dit çà et dira autre chose plus loin. Pour l’instant elle examine le compost de ses lectures. Elle sait que tout est là et que tout disparait pour se transformer.Seule cette formulation lui plaît : écrire un roman d’artistes. Elle ignore totalement comment elle va s’y prendre. Il y avait une artiste dans le livre, une adolescente orpheline qui voulait danser et qui lui a fait sentir l’odeur des « churros » dans les narines avant même d’en avoir rencontré et mangé ! L’odeur de friture dont sont privés les affamé.e.s et qui surgit soudain dans la ville hostile, au bout des peines et de la misère. Une histoire d’exode et d’abandon, une de plus ! Mais qui finit bien. A la gloire insue d’enfants débrouillard.e.s que la vie oblige à risquer la leur sans savoir préalable. Une vie à l’instinct, et très peu d’intuition, beaucoup de candeur et de méfiance mêlées. Héroïne et héros petit frère, soudés « comme les doigts de la main ». Mathilde a toujours aimé les histoires où il y a un pacte tacite et très peu de trahison, du chagrin surmonté aussi, parce que la perte est inhérente à la capacité de grandir.

Et toi ? Que vois-tu dans la rue où tu passes ? Mathilde voit la poésie partout depuis l’enfance, ou plus exactement le sentiment poétique contenu dans l’extrême attention aux choses et aux êtres. Un roman n’est pas autre chose qu’une compilation d’instants de vie coupés à la manière de la cuisine asiatique. Accepter la fermentation de ce qui est surnuméraire et jeté car inassimilé consciemment, c’est atteindre l’humus au bout de l’écriture. Mathilde écrit…

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

9 commentaires à propos de “#été du roman #00 prologue | quand tu essaies d’imaginer un roman d’artiste.s sur les débris que l’on voit (ou pas) !”

  1. “une compilation d’instants de vie coupés à la manière de la cuisine asiatique“, et tant d’autres départs vers des existences possibles, oui !
    Merci MarieTherese (Mathilde ?) pour cette balade entre les pages de ton monde d’artistes !

    • Mathilde n’existe pas dans la vie, elle est aussi une fiction composite. Comme je la connais un peu, je lui laisse me raconter toutes sortes d’histoires, plus ou moins crédibles. Merci pour ton passage.

  2. le livre innommé serait celui de Mathilde ? Peut-être Mathilde est-elle le corps du livre ? On oscille, on hésite, mais on y va, on passe le pacte,
    Bonne suite,
    Cat

  3. pardon
    les livres appartiennent aux lecteurs et si on peut les étudier les analyser cela ne sera pas la raison de l’adhésion réelle et intime qu »on aura, sauf devoir, avec lui (pense la primaire que suis…. il faut nous pardonner)

    • Je n’ai pas vraiment compris chère Brigitte, sauf que les livres appartiennent aux lecteurs (pas pour les droits d’auteur.e.s j’imagine) et que l’analyse pourrait nuire à l’adhésion réelle et intime… la vôtre ? Et aussi qu’ il y a -t-il quelque chose à pardonner ? J’attends de mieux entendre. Merci.

  4. De la lectrice à l’autrice et du livre à ce qu’il dépose en soi, dans l’instant de la lecture et au-delà, j’aime bien ce continuum. Et c’est une bonne idée d’avoir d’emblée fait de ce souvenir de lecture le point de départ d’une écriture.

  5. « C’était donc cela la lecture ? Des mots qui vous sautent “pour de vrai ” au coeur et presque au ventre »…oui au ventre ! J’aime bien l’image du compost (avec la photo 😉 ! Espèce de digestion rumination transformation de nos lectures en nous dont je pense que nous ne mesurons pas toutes les tenants et les aboutissants ! Jusque dans l’écriture !

    • Dans « compost » il y a une part de « composition » où l’assimilation et la métabolisation agissent de concert, mais sans concertation explicite. On ne voit en effet que des résidus à l’état de recomposition. L’écriture est le ferment actif de cette rencontre entre la lecture et ses effets vitalisants. Merci pour votre prélévement !