#été2023 #03 | partout en elle où tirer

@ Vala Ouvrier

Comme je l’ai dit Eva dévalait quatre étages, traversait la cour, le hall, et entamait sa course à pied le long de l’avenue Jean-Jaurès du boulevard la Chapelle du boulevard Barbès. Elle ne voulait plus descendre sous terre. Ses muscles tendus l’emmenaient. Elles et eux pouvaient beaucoup de choses comme se déplacer vite respirer voir plus loin que les murs de la pièce, les parois du wagon, les hauts murs de la classe. On construisait les fenêtres en hauteur les tables et les chaises dans une cuvette. Elle défendait son droit au jour. Il y aurait de la sueur, de la fatigue, mais quelque chose sur la peau. Sur sa peau qui traverse la rue, longe l’avenue, les boulevards, et dessous elle aura ses muscles. Bien à elle. Ceux-là toujours serrés autour d’elle et prêts à la faire avancer. Elle compte sur eux, forts à l’intérieur, nombreux, élancés et rapides. Sa locomotive. Des gouttes glissent des tempes s’étalent aux aisselles humidifient le crâne. Elle tire. Elle tire vers le jour ce qu’elle tire dépasse son poids. Dépasse son corps ce qu’elle tire en avant dépasse. Le soleil emmène sa peau l’air emmène son corps. Elle bouge ses muscles à l’intérieur cherche partout en elle où tirer. Dans sa tête elle tire aussi. Elle ne pense pas elle tire sa tête hors des muscles. Elle a son trajet quotidien à faire le plus rapidement possible. Le point de départ et le point d’arrivée quotidien et son sentiment qu’une source quelque part entre les tissus contractés et la forêt de son air est là.

Toutes cherchent cette source-là. Dans leurs muscles. Dans leurs vêtements. Dans leurs paroles. Dans les blouses qui tombent le long du corps. Dans les chaussettes et sandales de filles. Elles bougent. Elles transpirent, elles crient. Elles font du bruit. Elles s’énervent. Elles voient des vêtements gris, des bleus sombres, des murs. Léna et sa sœur sont convoquées. Eva, non. On ne l’entendait pas. Eva ne pouvait pas tout de suite beaucoup de choses. Elle courait et s’entourait de ses muscles, de la lumière autour d’elle et de l’air. Léna poussait ce qui l’ennuyait autour d’elle. Elle poussait toute la journée autour d’elle. Elle se révoltait. Ses parents accolaient à leur mariage un mot nouveau qui les séparerait. Eva avait poussé dans un lit qui était lacé dans une chambre mitoyenne au lit de ses parents qui était peut-être un canapé-lit. Elle ne savait pas encore beaucoup de choses. Comme je l’ai dit elle ne voulait plus descendre sous terre, elle marchait vite, elle courait. Léna s’est souvenue de tout. Tout ce qui l’avait entouré. Sa sœur, ses parents. Tout est resté, gravé si finement qu’elle a modifié certains détails. Elle a changé les prénoms. Elle a inventé quelques lieux. Eva, elle, a effacé beaucoup de choses. Elle a tourné des pages. Son sentiment quotidien d’être elle, avec ses muscles et sa tête au-dessus, poussés en avant. C’est tout ce qui est resté. Sans presque rien autour.

A propos de Nolwenn Euzen

J'écris dans les ateliers du Tiers Livre depuis 2022. Cycles: "techniques et élargissements" , "le grand carnet", "photofictions" ou 40 jours d'écriture au quotidien" (juin-juillet 2022). Mon blog le carnet des ateliers concerne quelques séjours d'écriture et ateliers que je propose, associés notamment à la marche à pied. J'ai publié deux livres papiers et un au format numérique quand j'étais plus jeune. Je me fâche régulièrement avec l'écriture et me réconcilie. Je suis d'abord une infatigable lectrice. "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue Ces revues m'ont accueillie dans le passé: La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune... Et, grâce à l'anthologie "La poésie française pour les nuls" (éditions First) je sais que dans un des livres de la bibliothèque de la ville où j'habite, c'est moi. Et ça compte d'être tatouée comme ça. J'ai participé plusieurs années aux échanges de blog à blog des "vases communicants" - mon site a disparu depuis. En 2007, j'ai bénéficié d'une bourse de découverte du CNL. Le texte a été abouti. J'ai bifurqué vers d'autres urgences. Enfin voilà quand même, je suis contente d'être arrivé là bien qu'aujourd'hui le temps a passé et que j'ai toujours un casque de chantier sur la tête. J'aime ça.

15 commentaires à propos de “#été2023 #03 | partout en elle où tirer”

  1. « Toutes cherchent cette source-là. Dans leurs muscles. Dans leurs vêtements. Dans leurs paroles. Dans les blouses qui tombent le long du corps. Dans les chaussettes et sandales de filles. Elles bougent. Elles transpirent, elles crient. Elles font du bruit. Elles s’énervent. Elles voient des vêtements gris, des bleus sombres, des murs. Léna et sa sœur sont convoquées.  »
    Votre texte m’a immédiatement fait penser aux livres de Régine DETAMBEL, et notamment « Mon corps extrême », qui raconte pourtant une toute autre histoire de corps ( un corps en réparation après un accident).Votre personnage Eva , toute de refus, qui vit à fond dans son corps lancé dehors à toute vitesse, femme qui court peut-être avec ou après les loups, qui a quelque chose à fuir ou à se prouver. Je peux la suivre en pensée et attendre qu’elle revienne s’asseoir pour souffler et peut-être parler… Elle a l’air si bien lorsqu’elle s’envole et plane dans l’air où elle laisse derrière elle les obstacles. Mais Léna, l’attend peut-être, c’est pour cela qu’elle pousse les choses pour lui faire de la place et raconter leur histoire ? J’imagine la scène, la frangine qui attend en râlant sa fugueuse préférée… Mais c’est mon imagination qui invente en vous lisant. Merci pour ces deux beaux paragraphes denses et narratifs.

    • Merci pour ce retour de lecture approfondi Marie-Thérèse. Je suis touchée que tu (je tutoie chacun.e sur Tiers Livre, tu peux également me tutoyer) aies habité ces personnages et inventé en lisant. C’est vrai qu’elle Léna et Eva peuvent être soeur, ta proposition fonctionnerait bien. Mais ce n’est pas le cas. Elles ont chacune une soeur de leur côté. Je me suis inspirée d’une bribe qu’on m’a racontée et du personnage de Rosetta (les frères Dardenne je crois) qui court sans arrêt.

      • Oui, ce film Rosetta des talentueux Frères Dardenne, m’a impactée durablement, la scène de l’oeuf dur qui dure dure… mangé dans la caravane… Les trajets; les rituels, la galère… Léna et Eva peuvent se multiplier ça me va aussi…

  2. Un texte que j’ai lu et relu plusieurs fois. J’en ai goûté le rythme, l’homophonie approximative des prénoms, le balancement de l’un à l’autre, la vie des corps, le mouvement, et les histoires en filigrane. Merci!

    • Merci Claudine pour ce retour de lecture. Je suis touchée que mon texte t’interpelle.
      Je suis passée te lire à mon tour. Une belle découverte, mais la fonction commentaire a bloqué.
      Je le mets ici, si cela se débloque j’effacerai et déplacerai ce commentiare sous ton texte.

      Lecture Claudine
      Etonnants ces ponctuations par le carnet, le numéro de porte et ces noms de rue. J’ai observé chacun et chacune en adoptant le rôle de la factrice. On pourrait silloner une rue complète de porte en porte et d’histoire en histoire. Merci, et belle suite. Je suis curieuse de te lire.

  3. ton texte aurait presque pu répondre à la bis
    et c’est fou comme le mot « muscle » a un impact sur la présence du personnage et sa force vitale
    « elles et eux pouvaient beaucoup de choses comme se déplacer vite respirer voir plus loin que les murs de la pièce, les parois du wagon, les hauts murs de la classe. »

    • Merci Françoise, fidèle lectrice. Je me suis demandée comment mes personnages pouvaient m’être sympathiques, comment les aimer d’une certaine façon. Quand ces courses et les approcher par leur effort musculaire, m’a rapprochée d’eux très fort.

  4. « Elle défendait son droit au jour. Il y aurait de la sueur, de la fatigue, mais quelque chose sur la peau. Sur sa peau qui traverse la rue, longe l’avenue, les boulevards, et dessous elle aura ses muscles. Bien à elle. Ceux-là toujours serrés autour d’elle et prêts à la faire avancer. Elle compte sur eux, forts à l’intérieur, nombreux, élancés et rapides. Sa locomotive. Des gouttes glissent des tempes s’étalent aux aisselles humidifient le crâne. Elle tire » Cette course haletante est tout simplement formidable, j’en suis toute essoufflée! (et soufflée!)

    • Catherine, je n’avais pas encore répondu, un grand merci pour ton commentaire. J’aime bien réussir à transcrire quelque chose de physique. Tes mots me permettent de sentir qu’un personnage qui court, court chez toi et c’est vraiment très stimulant. Je lis qui me lis (notamment) donc à bientôt !

  5. Formidable cette présence des corps, muscles, sueur, peau dans ton texte et ce rythme, mouvement, course… formidable cette façon de faire vivre tes personnages

    • Muriel, merci ! C’est important ce que tu dis car je ne sais pas comment on fait vivre des personnages j’ai écrit de la poésie jusque là. C’est nouveau. Curieuse des tiens à mon tour.