Éventail

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Jour 1

S’éventer et chercher de l’air. Créer de l’air battu par la flamme violette et docile sous la main. Éventail. Ça ramène à la porte. Une porte ancienne à vantaux, lourds, massifs, pas aériens. Mais l’éventail conduit et / ou ramène à la porte. C’est qu’il faut de l’air pour vivre. Du vent, soulevé ou non par la main qui agite l’éventail.

Jour 2

Il est violet, ce n’est pas anodin. Ce mouvement de de la main, comme un non de la main, dénégation aérienne, flottante, c’est l’éventail. Qui chasse l’air pour mieux le ramener. Que l’on m’évente ! Que l’on chasse l’air lourd. Moite. Non. C’est le mouvement de la main, qui le bat, l’éventail, qui le bat, comme on redistribuerait des cartes, celles d’un paquet rebattu, dans un tripot, comme dans les films à Macao, sous les pales d’un ventilateur branlant. Dans l’air déplacé par l’éventail, les images accrochées sous les pales du ventilateur, et le souffle d’un côté, puis de l’autre, qui chasse la sueur des tempes usées des joueurs assis. Léger, l’éventail, il l’est aussi. Réductible aux fragrances qu’il déporte, d’un côté, puis de l’autre. 

Jour 3

Il est violet. Ce n’est pas anodin. S’éventer chercher de l’air même moite. Créer des courants dans l’air, des ascendances fragiles, contre les tempes des joueurs usés dans les films à Macao. Flamme violette et docile à la main qui le porte.  Et qui cherche la porte, celle aux lourds ventaux qui pèsent à la peine et grincent lorsqu’on les écarte pour faire place à l’air qui entre dans la maison secouée par l’éventail.  C’est qu’il faut de l’air pour vivre. Du vent, comme sous le ventilateur aux pales tenaces qui tournoient branlantes autour de leur socle de plastique jauni. Il est violet, l’éventail. Violet. Teinte cardinale et pourpre presque d’une dignité affichée. Son reflet se mêle à la sueur sur la membrane fragile de peau qui bat aux tempes, lorsque le jour tombe dans l’arrière salle. 

Jour 4

S’éventer, puiser de l’air même moite sous le ventail lourd de la porte plus tout à fait close. D’ailleurs, c’était dans ce genre de maisons – closes – qu’on s’éventait le soir, sous les pales qui tournoyaient branlantes rivées à leur socle de plastique jauni. Clôture des corps corsetés. Bouches ouvertes qui devaient manquer d’air de vent. De secrets éventés.

Jour 5

L’éventail s’y est oublié, sur la table basse, dans le demi jour. Déplié mollement dans l’ombre absente de la main de Gloria. Qui a oublié de revenir. Il est violet, violet soutenu. Ce n’est pas anodin. Elle aussi. Qui en a oublié de revenir. Drapée des plis du pourpre de sa dignité retrouvée. Le laissant de son long s’ouvrir, se déployer solitaire pour s’échapper de sa monture de bois frêle, offrant au regard le vertige de ses arabesques dorées. Fines gueules de dragons cracheurs de feu. Comme sur les buffets laqués des tripots des films de Macao, sous les ventilateurs aux pales tenaces, qui n’éventent plus que la peinture paille des plafonds. Mais Gloria n’est plus là. Qui a oublié de revenir. Sans doute même oublié de s’éventer, de chercher de l’air. Et la sueur peut-être a-t-elle perlé en gouttes minuscules de sel sur la membrane fragile de ses tempes. Pourtant, les courants siffleurs de l’air se faufilent à petits bruissements sous le vantail lourd de la porte cloutée qui fermait la maison. Elle ne reviendra pas le chercher, l’éventail. Ouvert allongé en plis soyeux, qui s’impatiente de l’ombre portée sous le tube du néon, qui n’est pas celle de Gloria. Sous la pesée de sa main, la porte s’est ouverte, à tous les vents, à tous les calligrammes, signes aériens sur la soie qui s’émousse et frissonne. De l’absence de Gloria. 

A propos de Isabelle Dartiguelongue

Prof de français, je parle chinois aussi, et j'aime quand les deux langues se catapultent. Prof de FLE aussi. J'aime les mots, et courir, et danser - et ici, à Tiers Livre, c'est la valse des mots, les miens, les vôtres. Me sens chez moi, même si très souvent en voyage.

2 commentaires à propos de “Éventail”

  1. Oui, c’est vrai, l’histoire est sur ou sous l’éventail… Merci pour cet encouragement