#P1 Fenêtres sur intérieurs

Les cris des martinets tournoient entre les fenêtres grandes ouvertes. L’air sec et chaud crève par vagues les rideaux écarlates qui teintent la chambre d’une intimité viscérale. Dehors, la lumière est si limpide que je peux distinguer au loin la ligne d’affleurement de la Méditerranée.

Même les fenêtres fermées, le vacarme de la circulation jette la chambre au niveau du trottoir. Les volets en persiennes ont dû être verts un temps, ils sont aujourd’hui vermoulus, branlants, crasseux de goudron. Ils laissent filtrer la lumière crue des réverbères du grand boulevard qui s’écoule au pied de l’hôtel.

Il suffit d’écarter les fins rideaux crème pour ouvrir le ciel. Bleu. Le balcon s’offre un plongeon dans le lac. Bleu. Quelques canards. Tout est paisible. Suisse.

La petite mansarde à deux pas du boulevard Sébastopol. Si je me mets sur la pointe des pieds, collée contre le chambranle de la lucarne, j’aperçois, à droite, la blancheur du dôme du Sacré Cœur entre les toits de zinc et d’ardoise.

Allongée là, sur le matelas jeté au sol, je pourrais presque toucher les deux murs en étendant les bras. Tout au plus un grand placard sans même une meurtrière. Je repense à un rêve lointain de chambre secrète.

Les genoux contre mon ventre. La tête rentrée. Il n’y a qu’ainsi que je tiens sur cette banquette collée dans le couloir. J’ai dégagé quelques affaires pour m’installer. La porte du dortoir est à deux mètres tout au plus, je n’ai pas osé.

L’édredon semble si massif qu’il pourrait m’écraser… mais non, il enveloppe le lit immense et mon corps tout petit dedans d’une étrange légèreté. Je m’enroule dans ses effluves de lavande et d’antimite.

« Allume la lumière ! »… « Allume la lumière ! ». Je crie. Quand j’ouvre les yeux, l’obscurité est un mur. Les sanglots ont pris ma voix. Je ne sais pas où est l’interrupteur, je sais seulement que le matelas est à-même le plancher et que l’escalier est un trou.

Au pied du lit, à quelques centimètres au-delà de la petite barrière, le rideau, la fenêtre, à tâtons, je halète, je cherche la sortie, mes doigts sont mes yeux. Autour, en-dessous de moi des respirations. Là, la tringle, plus bas la poignée… je respire.

On entend les hurlements des chiens errants par la porte laissée ouverte tout au bout du couloir. L’air est chargé de ce que l’on imagine être l’odeur aride du désert. Sur les lits superposés, une fait des abdominaux, d’autres ont la nausée de l’inconnu.

A propos de Helene Gosselin

Un peu de sociologie de l'imaginaire, quelques années de journalisme à Montpellier. Mise au vert en Lozère. Venue ici par un heureux concours de circonstances. M'y accroche. Dévide, fouille, cherche sous les doigts.

4 commentaires à propos de “#P1 Fenêtres sur intérieurs”

  1. J’aime beaucoup quand vous êtes dans l’ellipse, les formes brèves. De belles évocations.