fuir

restent l’été les chantiers les engins dedans des hommes les engins dedans les vitres comme pris au piège sur un rond-point par une décrue brutale de la ville une bagnole parfois passe avec une torpeur de bête cherchant l’ombre une bagnole sombre aux vitres noires dedans elle une musique lourde comme un souffle fuir lamentation sourde de la ville de vent de vide asséchée une bretelle de sécurité le long de la voie de chemin de fer quand on y marche quand on y marche lentement quand on regarde les rails les herbes entre les rails les cahuttes des cheminots quand rien ne bouge fuir quand rien ne frémit quand rien n’oscille que les immeubles troués par leurs fenêtres crachent du linge et des plantes crévées fuir on ne sait pas comment on ne sait pas par où il y a comme une sècheresse dans les directions aussi il y a fuir inscrit dans le sol de la ville il y a fuir dans la récurence d’images lourdes de chairs lourdes d’engins lourdes de pelouses brûlées de centre-commerciaux lourds et vides comme des planètes inhabitées fuir les deux hommes sont sorti de la voiture rouge avec un couteau et une balafre sur la joue gauche on avait fuir frappé à toutes les portes du village jusqu’à ce que la vieille ouvre on avait fuir on avait peur on avait voulu fuir mais les flics nous avaient coincé dans un cul de sac fuir ta bouche était sur sa bouche ta main était sur sa main une force trop grande venait de siphoner ta tête fuir mais combien de fois étais-tu resté chantier toi-même poussière toi-même fuir puis te voilà au Nord sortant d’une gare au Nord dans un creux des forêts envasé dans la neige dans un grand lac gelé cerclé de pècheries mortes et de joggers et te voilà qui marche vers cette tuyauterie d’usines blanches après quoi on ne voit plus que des arbres et de l’ombre fuir vent sans ossature toi squelette mou qui va fuir loin fuir jusqu’à s’épuiser se dissoudre dans la neige fuir on observait ses yeux on attendait dans ses yeux on espérait qu’elle ne remarque pas le renflement dans le compartiment arrière du sac on avait vu l’entrecôte dans le rayon on avait dit on va se faire une entrecôte on va la mettre là où elle sera juste un peu cachée par le rabat du sac puis on fera les bon demeurés tout sourire et bien polis puis on passera tranquillement on avait vu l’entrecôte on avait vu l’entrecôte chaude et presque crue dans nos bouches dans nos dents on avait dit avec toute la viande qu’il foutent en l’air et on avait immédiatement vu les frites qui allaient avec on aurait pu payer l’entrecôte mais on avait d’autres choses à payer fuir c’était le rythme gris c’était fuir le rythme travail payer travail payer travail alcool payer fuir c’était se dire bientôt c’était dans la tête se dire bientôt fuir c’était vivre avec dans la tête une bête qui meure d’ennui et le dimanche l’emmener au bout d’une route au bord de la colline ceinturée de genêts de bruyères qui marquait le début d’une lande sans fin fuir comme elle d’autres bêtes de la tête se tenaient là au sommet regardaient la mer en chargeaient leurs visages on pouvait être comme ça des centaines à fuir rentrer le soir sans comprendre pourquoi fuir sans jamais cependant vraiment fuir porter sa fatigue un peu plus loin encore pourquoi on allait jamais vraiment au bout des routes pourquoi avec nos têtes on traînait les crêtes les grèves les landes à travers la poisse du port la rouille suburbaine des serpents de chemins enroulés dans le ventre jusqu’entre les murs d’une chambre blanche fuir ils étaient en tas vivants dans les cages les enfants séparés des mères séparées des pères séparés des enfants passant leurs doigts à travers les mailles fuir les images comment fuir les images une fois qu’elles sont dedans fuir le malheur essaime comme du pollen on est parti on est revenu on est allé devant et derrière soi fuir plus on marchait plus on s’éloignait plus on franchissait les villages après les villages plus on était seul en mouvement seul en silence plus on faisait le vide le vide se faisait le vide se faisait par décompression par retombée lente de la poussière mentale plus on allait loin en soi pas profond pas dans la mémoire profonde mais dans la mémoire sur la membrane des yeux plus on éprouvait comme un besoin vital la présence de voix de corps de heurts de tendresse plus on désirait fuir à l’envers fuir en retour comprimer en soi la fuite pour qu’elle devienne une phrase

2 commentaires à propos de “fuir”

  1. Votre écriture est puissante. J’aime beaucoup le traitement que vous faites subir au verbe « fuir » dans cette audace grammaticale, « on avait fuir », et tout le texte est beau, tendu, à vif.