#gestes&usages #04 | se pelotonner

Le cou tombé sur la poitrine, les épaules rentrées, le dos arrondi. La tête entre les genoux, les membres rapprochés au plus près du tronc, tellement serrés l’un contre l’autre que le torse, en les absorbant aurait pu les faire disparaitre. On l’avait prévenu, il fallait entrer l’estomac vide sinon, on risquait de tout rejeter. Ça tombait bien, il n’avait rien avalé depuis plusieurs jours. S’introduire dans le port la nuit, avec pour tout guide dans l’obscurité, la lune et les étoiles. Cette lune qui changeait chaque jour mais restait là à le regarder d’un air amusé. Pour un peu, il entendait son rire. Il n’y avait rien d’amusant avait-il envie de lui rétorquer, agacé par ce témoin insistant. Passer sous les barbelés et se glisser dans l’ombre des espaces déserts. Il connaissait les horaires des gardes qui, berger allemand en bout de laisse et torche en main, envoyaient des jets de lumière circulaires autour d’eux. Il s’était faufilé sous les barrières, avait enjambé le pont avec l’agilité d’un chat, pour se retrouver incrédule sur le pont. Son cœur tambourinait contre la cage thoracique, les yeux écarquillés, toujours accroupis, il avait rejoint une porte qu’on avait laissé ouverte et était descendu dans la cale. Ses mains le guidaient, caressant les parois de l’escalier métallique. Il atterrit à quatre pattes sur un sol sale et mouillé, rampant presque maintenant, à la recherche d’un recoin où il pourrait se terrer. Assis au fond de la cale, entre deux containers, collé aux parois, en essayant de se réduire tellement qu’il passerait inaperçu. L’odeur lui avait d’abord brûlé les narines : c’était un mélange d’essence, d’huile de moteur et de rouages métalliques. L’émanation des machines des ports industriels, l’odeur des ouvriers et du travail, une odeur de futur pour Hakim. Il s’y habituait, respirant lentement le parfum de son rêve, un autre continent où tout serait possible, où une vie florissante l’attendait, ça valait bien les quelques humiliations qu’il y avait sur le chemin.

A propos de Irène Garmendia

Lectrice par amour des mots et des histoires. Voyageuse immobile, perdue entre plusieurs langues, a récemment découvert le jeu d'écrire.

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