autobiographies #06 | habiter l’habitacle

Les conversations ont cessé, on se love dans le ronron du moteur, dans ce silence épais, presque poisseux de la nuit, régulièrement, on se prend en pleine face les crachats lumineux des phares, l’insulte suit de près : Et tes codes connard ? c’est la nuit, on parle bas parce que c’est la nuit et peut-être qu’elles dorment à l’arrière, ou allez savoir, elles font semblant, peut-être que dans une minute elles poufferont de rire, on vous a bien eus, la nuit enserre autrement que dans un lit, c’est le repos du couple ensemble séparé, les rebords des portières luisent faiblement, la petite lucarne du rétroviseur enchâsse un bout de nuit violet et les arbres plus noirs que noirs grandissent menaçants avant de se détourner vivement, c’est la nuit dans le battement de petit cœur du clignotant, c’est la nuit dans le bruit suave des mains gantées cuir caressant le poli du volant, c’est la nuit sur la main frôlant le levier de vitesse, c’est la nuit dans les jambes décroisées sous la jupe de laine affalée, le dehors est dedans et le dedans une petite bulle de nuit ronronnante avalant une route invisible qui surgit juste avant d’être engloutie, la nuit le monde est si court comme posé sur un grand plat bleu marine, avec la voiture comme à l’arrêt hors l’espace et le temps entre les météorites de lumière qui lui crachent en pleine face et la remettent en mouvement, et tes codes connard ? l’ennuit est si vaste et l’habitacle si petit pour quatre, on surveille dans leur pâle lumière la radio, le compte-tours, celui de vitesse et tous les voyants,  niveau d’essence ok, huile ok, batterie ok, l’aiguille du speedomètre tremblote entre 80 et 110, tu vas trop vite mais non, je ne vais pas trop vite et voilà qu’il pleut alors la nuit luit, l’auto crachouille sur la route et les réverbères des villages allument les gouttes du pare-brise, les formes se brisent et se tordent et ça sent l’humide et la buée sur les vitres alors que ça remue derrière, le frôlement d’un animal se retournant dans sa tanière, ce bruit de corps dans un murmure d’étoffe, on ne voit pas très bien dans quelle position elles dorment, un passage de phares révèle le négatif d’un minois adoré aux yeux clos, sa tête repose au coin de la portière : les portes sont bien fermées ? Mais quelle idée, tu sais bien que ça sonne quand ça n’est pas le cas, quand même, on étend un bras pour vérifier et le petit murmure d’étoffe se renouvelle : On est où maman ? 

A propos de Catherine Plée

Je sais pas qui suis-je ? Quelqu'un quelque part, je crois, qui veut écrire depuis bien longtemps, écrit régulièrement depuis dix ans, beaucoup plus sérieusement depuis trois ans avec la découverte de Tierslivre et est bien contente de retrouver la bande des dingues du clavier...

7 commentaires à propos de “autobiographies #06 | habiter l’habitacle”

    • ah mais installez-vous donc faites comme chez vous, vous êtes les bienvenues Marion et Louise!

  1. C’est beau de se dire que c’est la nuit aussi dans l’auto, et pas seulement le noir. Et ce grand plat bleu : on est quasi plongé immobile dans l’espace, en navette. Le tableau de bord : constellation. Elle est cosmique la nuit. J’aime