autobiographies #03 | IL poussait, je grandissais

Il a été planté dès la construction du pavillon terminée. Entre la façade ouest en pierres meulières et le muret qui sépare le terrain du trottoir. Un espace peu large: cinq mètres. Seul arbre d’ornement du jardin. Du côté sud ,croissent des voisins qu’il ne voit pas : cassissiers, framboisiers, groseilliers, noisetiers. De l’autre côté du pavillon s’étend le domaine du potager. Peu d’arbres : un cerisier, des poiriers en espaliers le long du mur en ciment du fond. Le potager s’épanouit en plein soleil. il doit nourrir la famille. À la réflexion, lui, il paraît bien incongru, n’ayant à offrir que sa beauté et ses métamorphoses au gré des saisons. Il accepte la violence du vent qui l’encercle, essaie de pénétrer sa ramure, il laisse son souffle visiter son antre, car son feuillage forme cabane, ses branches voilages à pousser délicatement. On dit qu’il est originaire de Chine, parle-t-il la langue de ce pays ? Ses feuilles si fines, pointes de pinceaux de calligraphie, tombées sur le sol en automne, qu’inscrivent-elles sur l’herbe humide ? Elles conversent avec ses racines filantes, jamais très enfoncées dans la terre. Celles-ci tracent un réseau invisible semblable au bassins hydrographiques dessinés en bleu sur les cahiers d’écoliers d’antan. Certains les craignent car il irait lever les secrets enfouis sous les murs trop proches de son tronc. Au printemps, virevoltent ses chatons alliés aux insectes pour transporter le pollen. Pourquoi l’appelle-t-on pleureur alors qu’il sait se parer d’or à l’automne ? Suffit-il donc que ses branches retombent sur le sol ? N’ est-ce pas plutôt une alliance entre le terre et le ciel pour celui qui dans la mythologie chinoise symbolise la mort et la renaissance? Il ne ploie pas mais se déploie sans avoir l’ambition de toucher les étoiles. Est-ce une infirmité de ne pas porter de fruits ? L’été, il se fait volière, abrite les jeux des enfants. Aime-t-il que les amants se lovent contre son tronc ? Songe-t-il à ses frères, saules blancs, saules cendrés, saules fragiles, saules noirs, saules tortueux, saules herbacés, saules têtards, jamais loin de l’eau, leur sève ? Lui, exilé dans cette banlieue pavillonnaire, rêve-t-il de les rejoindre au bord des étangs, marais, lacs, rivières ? Les envie-t-il de pouvoir se mirer dans l’eau ou sait-il que s’approcher trop pourrait leur être fatal comme à Narcisse ? Alors craint-il la mort quand l’hiver le déshabille ? Frissonne-t-il- lorsque ses rameaux s’entrechoquent, quelle partition joue-t-il ? Communique-t-il ? souvent solitaire, un seul suffit pour agrémenter un parc un jardin. Est-il juste là pour faire rêver les hommes et les enchanter ? J’aime penser que chacun porte en lui la mémoire d’un saule pleureur ou peut-être de plusieurs.

Les persiennes grenat de la fenêtre caressées par ses branches sont définitivement closes.La petite-fille a quitté la maison. On l’a abattu.

Catherine Guillerot-Renier

A propos de Guillerot Catherine

Enfance entre Berry et région parisienne. Étudiante à Paris VIII Vincennes en littérature, philosophie et Français Langue Étrangère. Enseignante en Lycée Professionnel pendant 17 ans dans divers coins de France , puis en Collège et en Lycée. Quelques années à Mayotte dans l’Ocean Indien. Amoureuse des mots, du théâtre, de la nature. Voyageuse sur les océans et sur la terre. Ai écrit deux livres « Dialogue avec Jean » et « La traversée d’Ariane ». Fréquente la Maison Gueffier, à La Roche sur Yon lieu d’échanges et de rencontres extraordinaires avec des écrivains contemporains. Ai animé des ateliers d’écriture à la bibliothèque où je suis bénévole.

2 commentaires à propos de “autobiographies #03 | IL poussait, je grandissais”

  1. Moi aussi le saule remporta ma plume. Je l’imagine bien calligraphiant de ses longues branches tombantes.