Irishman

Les yeux bizarrement bleus, comme un extraterrestre ou comme mon chat Mina lorsqu’elle était bien vieille et presque aveugle. Translucides mais opaques, glauques, troubles et troublants. Comme plusieurs épaisseurs superposées de différentes couleurs, les différentes strates, mais je pensais ses yeux marrons.

Visage artificiellement rajeuni, les traits tirés, comme dans Brazil, des pinces ont écarté la peau mais la structure transparaît, elle ressurgit, émerge dans son actualité.

On ne sait pas quel moment se passe, toutes les époques sont là, superposées mais visibles, en profondeur. Jusqu’à quand d’autres couches pourront-elles s’ajouter ? Une infini tristesse de ce beau visage mémorisé, encore là un peu ; leurs traces sont suffisantes pour que tous les personnages interprétés se manifestent. Epaisseur par les strates du temps et les multiples rôles incarnés depuis plus de cinquante ans.

Les cheveux sont pourtant bien bruns, gominés, brillants mais les yeux empêchent de croire que c’était avant, c’est maintenant et avant et encore avant et entre les deux et après, tout gris, après juste avec les os du crâne qui resteront plus longtemps.

Le visage qui échappe à la pause, chaque mouvement amène un autre souvenir. Les rôles.

Le tic des joues aspirées entre les dents dans la mâchoire, le signe d’énervement, la mâchoire carrée, on dit le menton volontaire, la volonté. Le mouvement de la mâchoire traduit les pensées, pas l’accord, la résignation. Visage qui a encaissé beaucoup à contre cœur, sans discuter les ordres, le risque est grand et la loyauté obligatoire, c’est l’interrogation par les sourcils levés mais qui vite reprennent leur place si possible, impassibles sans accent circonflexe. Le front participe forcément, les rides transversales les bourrelets de peau viennent se toucher, un espace expressif s’anime et se relisse, la mobilité des pensées en dessous ?

Quel visage ? Un beau clivage, le père aimant et protecteur, le garde du corps brutal et inflexible.

L’homme de main, le visage de l’homme de main, la main de ce visage doit faire sans savoir ce qui se pense là-haut, ou sans écouter ce qui se dit, se réprouve.

A propos de Isabelle Charreau

j’arpente plus facilement les chemins de terre que les pavés de la ville, je fréquente l’atelier pour le plaisir comme des gammes, sans projet de partition

2 commentaires à propos de “Irishman”

  1. il me touche beaucoup cet Irishman « retenu » avec ses accents circonflexes, tout en dedans mais en surface aussi !

  2. Merci Christine pour ce retour, c’est une première pour moi l’aventure de cet atelier, je ne connais pas bien les « codes » mais je me sens accueillie.