la fabrique I Danièle Godard-Livet, écrire pour dire autrement

Suite au zoom du 24 septembre consacré à la lecture-partage en atelier d’écriture, j’ai essayé de mettre en mots ma prudence face à la lecture-partage des textes en atelier. Dans ma petite expérience d’animation d’atelier, je respecte toujours le besoin de s’isoler pour écrire et celles et ceux qui ne lisent pas. j’essaie de m’en expliquer à partir de ma propre expérience qui sera peut-être utile à d’autres.

Lors du premier atelier d’écriture auquel j’ai participé (un week-end pas mois pendants deux ans ALEPH), j’écrivais, mais je ne lisais jamais. J’avais aussi besoin pour écrire de m’isoler, de me mettre dans un coin, même très inconfortable, hors du regard des autres,. L’animateur et les participants l’ont accepté avec bienveillance. Pendant deux ans nous avons formé un groupe très soudé qui a continué à se voir longtemps après et j’y ai gardé une amie toujours présente, une amie de trente ans ! Ma présence au groupe était d’une autre nature que le partage de mes textes.

Pourquoi ne pas vouloir lire ?

  • Textes trop intimes et/ou trop insignifiants ?
  • Importance excessive accordée à l’écriture, lieu du dévoilement, de la mise à nu ?
  • Gêne face à la mise en avant/ imposition aux autres, impudeur ?
  • Bénéfice suffisant retiré de l’acte d’écrire, sans avoir besoin de le partager ?
  • Inutilité des retours, banalité des retours ? / refus de l’intrusion ?
  • Crainte du regard-jugement des autres ?
  • Supplice des écrivants trop bavards et contents de leur prose, gêne face aux déclamations
  • difficulté à « fictionner » mon expérience, à m’en détacher à la mettre à distance ?
  • Inachèvement des fragments produits en atelier par rapport à une certaine idée de la littérature ?

À la même époque, j’ai commencé à pratiquer l’aïkido, parallèlement aux ateliers d’écriture; j’ai même rêvé un temps d’animer un atelier qui aurait combiné aïkido et écriture, tellement il me semblait important de rapprocher ces deux pratiques qui mettent en jeu le corps, les émotions, le rapport intime à l’autre . Deux pratiques dont l’objet est de se transformer en profondeur sans produire quoi que ce soit d’autre que la transformation de soi et le moyen pour l’autre de sa propre expérience. Deux pratiques sans paroles où l’échange et le partage se font de corps à corps, de sensibilité à sensibilité ; je pratique encore écriture et aïkido (que j’enseigne aussi) même si la pandémie a rendu l’écriture à distance plus simple que l’aïkido qui ne se pratique pas à distance.

Écrire est pour certains une manière de dire autrement, de dire sans parler, de dire sans fards et la lecture en atelier au moment du partage peut s’avérer d’une grande violence, quasiment antinomique de leur effort de dire autrement, un retour à l’écriture-mensonge de l’Institution.

Plus tard dans d’autres ateliers, j’ai lu mes textes et y ai même trouvé un certain plaisir, un plaisir sensuel qui a plus à voir avec le souffle et la détente qu’avec le sens et la compréhension, plus à voir avec le corps qu’avec le texte. C’est après la mort de ma mère, il y a six ans, que j’ai commencé à publier mes textes sans aucune difficulté. Je continue à détester qu’on lise par-dessus mon épaule, qu’on m’observe dans l’acte d’écrire, avant de livrer le texte achevé.Je garde une grande prudence-réticence face au développement des pratiques de littérature orale (cf. mon écriveurs, parlez maintenant ! sur YouTube) et je ne suis pas bonne spectatrice-consommatrice des performances de lecture qui provoquent chez moi la même gêne physique que celle que je ressentais enfant devant celles qui déclamaient la poésie « en mettant le ton ».

J’essaie pourtant de tenter l’expérience de la lecture de mes textes, de m’y entraîner, de m’améliorer, comme une pratique nouvelle. J’imagine aussi qu’elle permet de toucher d’autres publics, d’autres sensibilités ; je suis également des podcasts, mais je reste fidèle à l’intimité du lien qui se crée avec les mots écrits.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

8 commentaires à propos de “la fabrique I Danièle Godard-Livet, écrire pour dire autrement”

  1. Très bonnes remarques sur la non envie de lire son texte en atelier ou le non besoin qui peut concerner tout le monde à un moment ou un autre. Total respect. Mais en général, si la confiance s’est installée dans le groupe, les participants ont envie de lire, de partager leur imagination, leur lâcher-prise et souhaitent avoir un retour de l’animateur ou du reste du groupe. La difficulté, c’est que parfois l’écrivant a plus envie de parler de l’anecdote autobiographique qui lui a donné l’idée du texte, plutôt que de s’en tenir au texte. Peut-être un point sensible à discuter lors de nos prochains échanges sur ce thème.

    • les ateliers accueillent parfois un public très hétérogène, en particulier de « niveaux culturels » très différents. Le challenge me semble être de permettre l’expression de toutes les envies de se dire à des niveaux d’exigences littéraires différentes, parfois extrêmement naïves…mais d’une fraîcheur de perception incomparable.

  2. Merci Danièle pour cette trajectoire. Je comprends ton souhait de mêler aïkido et écriture : bien que non-pratiquante moi-même, j’ai eu l’occasion à de nombreuses reprises de voir les effets de la pratique de cet art martial sur les autres (non martiaux).
    Sinon, j’ai toujours entendu « thon » dans l’expression « mettre le ton ». Séquelles probables d’un long devoir de version grecque sur la migration des thons d’Aristote…

    • C’est vrai que j’ai parfois envie de dire à certains écrivants d’élaborer leur colère dans une vraie confrontation charnelle avec l’autre ; cela fait beaucoup de bien de se battre « pour de vrai ».
      Pour les thons, l’articulation et la respiration, comme pour beaucoup d’autres choses, il faut désapprendre.

      juste une note sur ton très bon « cours » : je dis toujours à mes élèves qu’il faut apprendre à expirer, que l’inspiration viendra immanquablement. J’ai eu l’impression que tu disais le contraire… tout en nous faisant expirer sssssssssss

  3. C’est très interressant ce qui est dit ici sur les raisons qui poussent à ne pas vouloir/pouvoir partager.
    Je suis également très mal à l’aise de l’écrit en groupe. J’ai besoin de solitude et mettre en bouche ce que j’écris ce qui n’est pas compatible avec le groupe silencieux.
    Et si j’aime beaucoup lire et entendre lire les textes je prefere ne pas voir les corps bouger, se mettre en théatralisation. Le derriere l’écran en direct me convient bien. Je me sens mal à l’aise de la mise à nu. Impression parfois que cela sonne faux. Je sais évidemment que c’est un rapport entre moi et l’espace, moi et mon impression d’insécurité et que cela ne vient pas véritablement de l’autre qui sonne faux.
    J’ai beaucoup aimé faire des ateliers en visio, (du bon dans la situation pour certaines pratiques pour moi). Je m’y sens mieux pour lire. C’est à partir de là que j’ai pu veritablement partagé mes textes en me sentant à une place adapté et en sécurité. Concernant les performances orales je ne saurais expliquer mais certaines sonnent si justes que je me dis que peut etre c’est une histoire de rencontres. Nous ne sommes peut etre pas fait pour l’écoute de tous.

  4. Merci de ta lecture. Moi aussi, j’aime beaucoup les ateliers à distance qui ont en plus eu toute leur raison d’être en période de pandémie. Je m’efforce aussi à du plus présentiel. Je le prends comme un travail sur moi.