P#1| La nuit m’évite depuis si longtemps que je m’y invite insidieusement…

les papillons sur le papier peint de la première chambre d’enfant dont je n’ai aucun souvenir si ce n’est une passion pour ces volatiles colorés

le rai de lumière de la cuisine laissée allumée juste pour me rassurer petite

la main de mon frère qui tenait la mienne entre nos deux lits, sécurité supplémentaire

la présence rassurante de ma mère endormie au pied de mon lit après nous avoir raconté des histoires et que les « encore » auront sans doute épuisée

la chaleur étouffante et le grattement inconfortable sous la couverture en laine dans les bras de mon père quand je désertais mon lit d’enfant

les matelas pneumatiques qui faisaient office de lit d’appoint pendant les vacances d’été familiales – pas forcément pratiques au demeurant, mais on s’en foutait : notre territoire c’était la plage pendant toute la journée !

les nuits câlines, discutant à bâtons rompus, partagées avec ma sœur, mes neveux, mes amis,…dans le lit des enfants, le canapé, un lit pliant : peu importe le plumard pourvu qu’on ait la tendresse

la lumière qui m’a tenue compagnie pendant longtemps, souvent pour me rassurer, puis quand l’insomnie a grignoté le territoire de la nuit, pour lire, complice de tous mes voyages immobiles

l’intranquillité, cette angoisse au moment de dormir qui m’étreint… tout le temps, sauf quand je suis juste trop épuisée pour y penser

écouter le monde s’endormir autour de moi et me dire que je suis peut-être encore la seule réveillée à cette heure-là

sentir le sommeil qui s’échappe alors qu’on l’a au bout des doigts

regarder sur l’affichage digital du réveil s’égrener les heures

et savoir qu’on ne dormira pas ;

parfois à cause d’un rendez-vous important, parfois d’excitation à l’idée du départ en voyage…

les nuits de pleine Lune, les nuits de bachotage, les nuits d’infortune, les nuits d’orage

entendre les oiseaux qui se réveillent et qui commencent à chanter et se rendre compte que l’on ne pourra pas s’endormir avec tout ce boucan

entrevoir un bout de ciel par la fenêtre et décider si on se lève ou pas

se recoucher parce qu’on a encore sommeil

se rendre compte que c’est le week-end et rester au lit comme un fainéant

relancer le réveil pour « encore 5 minutes » qui ne changeront rien à votre état de fatigue

ne plus savoir si l’on rêve tant c’est réel et être habité par des « impressions » toute la journée

ne plus se rappeler comment on s’est endormi, avoir du flou dans la mémoire

ne pas avoir l’impression d’avoir dormi malgré les heures affichées au compteur

se demander si finalement on ne va pas remettre un poster au mur, ou regarder les araignées au plafond

commencer à percevoir les bruits du monde qui se réveille, de l’autre côté du mur le vibreur du smartphone du voisin à 5h (5h !!!), la voiture qui râle et hésite à démarrer dans la cour, les pas sur le palier, dans l’escalier, les portes qui claquent par le manque d’attention ou la précipitation…

avec trop de nuit d’insomnie à mon compteur à cause d’un Morphée déserteur, je peux compter presque sur les doigts les bonnes nuits de sommeil

pourtant si je devais en parler, ce n’est pas celles-là dont je me souviendrais

parmi tous les endroits où j’ai dormi

si j’y ai trouvé quelques heures de repos reste anecdotique,

je me souviens plutôt des endroits, du cadre, de la décoration de la chambre (parfois prise en photo)

se sentir chez soi n’importe où…

pour moi, un lit, c’est un point de chute, that’s it…

parfois, plus rarement, c’est le point de départ de mes rêves…

comme le disait ma mère : « tu es comme une éponge, tu t’adaptes où que tu te poses »…

pourtant je n’ai rien d’une road-trip girl : de toute ma famille, je suis la seule qui suis toujours restée vivre à Paris… 

mais je navigue – à vue – d’un endroit à l’autre de squat d’artiste aux appart’ de famille,

d’une banquette de train à un bout de fauteuil chez un ami,

de palace en hôtel formule 1…

mais ce que je préfère ce sont les longues nuits, blanches, qui se finissent au petit matin

contre toutes mes nuits d’insomnie

je me remémore plus volontiers

toutes ces nuits veillées

pour le plaisir

les nuits blanches volontaires

avec des amis ou des frères

passées à s’éblouir

que ce soit pour accoster un radeau à Cannes

ou pour en savoir plus sur cette fameuse Roxane

ce qui m’aura coûté tant bien que mal

de me plier en deux dans cet inconfortable canapé

avant d’attaquer ma journée de travail

toutes ces heures habitées par cette fraternité

liée au fait de braver le sommeil

pour prolonger l’instant magique d’une nuit à la belle étoile

sur la mer méditerranée

ou à se découvrir dans des discussions existentielles originales

sans pouvoir s’arrêter

ironie du thème

la meilleure nuit récente aura été à l’hôpital

à tester pourquoi je dors si mal

mais le meilleur endroit

où j’ai jamais dormi

restera dans les bras

de ceux que j’aime…

Feet of family in bed

A propos de Ysa-Lou Sibiline

Je collectionne les mots comme d'autres collectionnent les montres : mais je n'aime pas trop la sensation du temps qui passe ; je lui préfère les sensations tout court : un parfum, une musique, qui évoque tout de suite un moment ou quelqu'un, un souvenir... toutes ces madeleines proustiennes avec ou sans sucre, avec ou sans chocolat, avec du thé, du café ou du lait froid...