##le double voyage #03 | l’impossible retour

On y pense comme on s’oublie. Il y a une langueur comme pour stagner, rester, établir un camp de base dont on ne se relève pas. Et quand on se lève c’est déjà trop tard. Ce serait un recul ou un rêve.Les sourires ont marqué nos espoirs d’une autre vie. Les regards se sont gravés pour nous dire de revenir. Nous ne sommes jamais revenus.
Nous avions longé ces baraques, ces maisons de pêcheurs et l’unique hôtel, son bar où nous descendions des bières. En une journée, nous aurions pu faire le tour d’ici (et nous l’avons fait, en partie). Nous ne faisions pas de différence entre les visages autochtones et les touristes parce que tous étaient dans l’instant des résidents d’ici. Tous avaient étiré leurs membres, augmentés d’une existence plus dense et plus libre.
Nous avions manqué exprès le bateau pour rester plus longtemps. Nous aurions peut-être pu dormir sur la plage, nous nourrir de poisson qui sait.
Il est resté la persistance d’un salut, d’un accent, une odeur âcre provenant de la baie, comme un regret.

Il aurait fallu devenir quelqu’un d’autre, avoir sa barque, de quoi hameçonner le rêve et mouliner plus fort que le vent et les pluies qui mouillent jusqu’à l’os dur du renoncement. Je nous vois solidement attablés à une maison d’hôte, nés ici ou transportés de longue date pour y avoir fait son trou (sa baïne comme dit ailleurs qui est une autre patrie).
Nous y sommes. Nous y sommes bien. Nous y sommes chez nous.
Nous parlons la langue couramment.

Nous y servons du crabe, du poisson fumé, nous y cuisinons, nous y accueillons nos ouailles. A notre tour, nous les gardons, qu’ils ne repartent pas, eux non plus.
Nous pourrions avoir des pied-à-terre dans plein d’endroits différentes, comprends-tu ?Ce don d’ubiquité est aussi d’orgueil pour se placer à la proue du navire, y demeurer.
Ça tangue toujours à l’avant, à l’avancée des constellations, nous sommes hybrides d’ici et d’ailleurs, nous sommes ce ciel choisi pour accueillir ce fantasme, cette soif.

A propos de Perle Vallens

Au cœur d’une Provence d’adoption, Perle Vallens écrit et photographie (https://perlevallens.photo). La poésie se tisse de mots et d’images, les uns nourrissant les autres. Ecrire c’est explorer l’intime et le monde, porter sa voix pour toucher. Publie récits, nouvelles et poésie en revues littéraires et ouvrages collectifs. Lauréate du Prix de la Nouvelle Erotique 2021 (au diable vauvert) et autrice d'un livre de photographie sur l'enfance, Que jeunesse se passe (éd J.Flament), d'un recueil de prose poétique aux éditions Tarmac, ceux qui m'aiment. Touche à tout, pratique encore le caviardage, le cut up (image et/ou son), met en voix (sur soundcloud Perle Vallens ou podcasts poétiques), crée des vidéo-poèmes et montages photo-vidéo (chaîne youtube Perle Vallens)...

Un commentaire à propos de “##le double voyage #03 | l’impossible retour”

  1. Je suis impressionnée, comme face à un texte-soeur un texte-frère, des caracoles au fond des yeux, le goût de l’île dans les méandres du ventre, exactement
    ce que j’aimerais vivre …
    et ne plus repartir nulle part, comme un trajet définitif en caravane