##le_double-voyage #00_prologue

Là où « I would have preferred not to ».

Il y a du sable et des pins, et un petit train, rien de bien malin,

Il y a l’odeur de la mer, que je ne connais pas trop bien, viens,

On va voir les Iliens, ceux dont j’ai la moitié du regard,

Rochefort, l’île d’Oléron, Marennes…et toute cette terre et cette mer en dessous des noms qui les relient, d’autres noms que je ne sais pas, dont le mien.

Le Château, déjà. Comme quoi.

Quand je me tourne vers mes souvenirs, je revois la maison où j’ai grandi.

Il me revient des tas de choses, je vois des roses dans un jardin.

Là où vivaient des arbres maintenant, la ville est là.

Il y a cette Porte aussi. Des Allemands. « Vous savez pourquoi on l’appelle La Porte des Allemands ? Parce que c’est par là qu’ils passaient à chaque qu’ils nous envahissaient ou qu’ils étaient chassés de la ville. Sous chaque pavé, près de cette porte, tendez les cristallins, les oreilles internes, vous les verrez soupirailler, vous les entendrez se transformer en pavé. Et à chaque un de vos pas, ils tireront toute votre colonne vertébrale vers eux, vers les pavés. Sous les pavés, les morts comme ils disent. Et une fois que vous les aurez entendu là, vous les entendrez partout dans la ville.»

Metz, Esch sur Alzette, Villerupt, Nancy…et tout ce sang et ces os mêlés de larmes et de cris. Une seule fois je suis passé, au petit matin brumeux, avant même mes 11 ans, en voiture, à travers la plaine de Verdun. Je les voyais tous par la fenêtre embuée, sous chaque bosse, sous chaque brin d’herbe, les morts comme ils disent.

« Oui, mais quand même il doit faire froid en hiver…. ?! », c’était en février. La découverte du Sud de la France, le campus de la fac d’Aix-en-Provence. C’est ce moment qui a fini de me décider. Alors ici, je n’aurais plus jamais froid ? Si, mais au moins tu comprendras que le froid ne vient pas de l’extérieur.

Aix-en-Provence, Pertuis, Manosque, Apt, …c’était si parfait, si bon, si beau, si doux, que je n’ai pas supporté d’y voir aussi des restes de camps. Là aussi, et là, et là. Il y a des morts-vivants ou des vivants-morts partout, comme ils disent.

« On déménage dans une petite ville, ne vous inquiétez pas, ça ne changera pas beaucoup… »

Nous avons ri, mais nous avons ri, les trois sœurs, sur la place principale de la « ville » de Paimpol…même prendre le train, entendez la petite micheline des années 60 bringuebalante le long de la côte vous faisant regretter de ne pas avoir écrit votre testament avant de monter, pour St Brieuc ne pouvait pas nous rendre notre anonymat. De tous les mensonges maternels, celui-là est celui qui nous a fait le plus rire, à l’époque. Pour passer le temps, on se mettait à chercher la falaise, aussi pour parfaire notre réputation.

Paimpol, Plouézec, Rennes, Brest…le bout du monde. Un sillon, long comme un sillon. Mais il n’y avait pas de bout en fait. Une ville refaite sur ses morts, encore.

Là où je devrais aller, là où j’aurais déjà dû aller, là où.

Le Kent, ses prairies que j’imagine vertes et chaudes à force de ne lire que les entrées d’été du journal de Denton. Ses cours d’eau où l’on rencontre de beaux éphèbes à la peau luisante de labeur des champs. Ses cabinets d’artiste plantés au milieu du salon et qui ont fait dire à Edith Sitwell de Denton qu’il était « a born writer ».

Tout le chemin de la fugue de Denton, dont, au moment où j’écris ces lignes, je ne me souviens même plus ni le début, une école, mais laquelle ? Repton…ah, j’ai un nom. La fugue, disais-je, de Repton à…et voilà, je n’ai pas la chute, je n’ai pas la fin, je n’ai pas le nom. Encore. Tout juste l’image d’une auberge, la nuit, pendant laquelle Denton essayait de dormir, mais était inlassablement tenu éveillé par le bruit de « la vie » qui se tenait sous ses pieds.

Les Orcades. Ce petit chapelet d’îles juste avant l’autre. Celui que tout le monde connait. Là où on a retrouvé dans les années 2010 des sites archéologiques parmi les plus vieux d’Europe. Des sites de rituels, religieux ? druidiques ? ce sont nos mots. Encore faudrait-il aller demander à l’Old man of Hoy, et encore, dans sa langue.

Shangaï, le quartier anglais. Pour une perspective d’européenne n’ayant jamais foutu un orteil en Asie, on est bien. Shangaï où Denton est né, peu ou prou en 1915. Parce que je n’ai pas du tout confiance en cette date. Tchang Haï Check avait fait ses premières manœuvres 4 ans plus tôt. Que s’est-il passé dans la famille Denton entre 1911 et 1915 à Shangai ? C’est une énorme clef qu’il me manque.

Et bien sûr, The Coffin House. Mais j’espère tellement y voir le petit lapin blanc, qu’il est bien possible que je ne me résolve jamais à y aller.

à moins que le petit lapin blanc aveugle…ou que je…nan. Trop facile. Et pourquoi devrait-ce être autrement que facile…?

A propos de Alexia

Chercheuse par diplôme (Master 2, 2018) en littérature anglaise du 20ème siècle à Tours, indépendante car pas rattachée à une université pour l'heure, je fais des mousses au chocolat, des îles flottantes, du pain perdu caramel, des meringues, des crèmes brûlées...un jour, j'arriverais au niveau de la tarte au citron de Blanche!!! je l'aurais un jour!!! je l'aurais!!! En attendant, j'épluche aussi des pommes...

10 commentaires à propos de “##le_double-voyage #00_prologue”

  1. Merci Alexia pour être venue jusque chez moi…
    Du coup je viens voyager moi aussi dans ton monde, autant de fragments autant d’histoires, enfance très présente
    et tout comme toi, projection et affection depuis toujours pour les Orcades que j’ai seulement contemplées loin sur l’horizon par temps clair…

  2. Il FAUT aller aux Orcades. Et plus particulièrement sur l’île de Hoy. Et plus particulièrement seul. Laisser les randonneurs randonner loin devant, il existe certainement plusieurs lieux comme celui-ci, mais il est si proche, que ce serait dommage de ne pas en profiter pour se balader de l’autre côté du miroir. Je pense. Spoiler: oui, c’est mon « réel » dans « l’imaginaire ». Mais étant donné que je considère ce lieu comme une porte, de toute façon, le seuil de la porte inclut (au moins) ces deux dimensions.

    Après, comment en revenir…en y retournant peut être.

    Merci.

  3. il faut aller partout et ne vais plus nulle part et suis pas allée en beaucoup de lieux
    il faut venir saluer la découverte de votre écriture et vous remercier, alors que j’au décidé de lire d’admirer beaucoup ou un peu moins mais en silence parce que pas cap

  4. Quel étrange voyage, si intime, et des sauts par liens interposés dans des univers venus se poser là, avec curiosité. C’est comme ça que je l’ai ressenti, j’aime beaucoup.

  5. parce qu’on a tant besoin que l’on ait besoin de nous (hein)
    et puis le « un peu » dans « une mère préfère un peu son plus fragile enfant » (djidjigé assure assez – souvent) (et son frère, dans le 13) (et puis c’est de Paimpol qu’on va à Bréhat, et la micheline rouge et jaune semblable à celle qui de Bastia va à l’Île Rousse par Corte oui…) (ça résonne) (merci bien)

    • Ah mais la rouge et jaune c’est pour les « touristes »…je parle de l’ancienne qu’ils ont fini par enlever il y a une dizaine d’années, avec les boulons qui jouaient la marche funèbre sur les coulisses…

      Merci du pas sage.

  6. oh merci Alexia, tant de mo(r)ts se lèvent, vaillants courageux ou naïfs à la lecture de tes textes ! merci pour ces balades, ces hommages et ces sourires. et bon courage pour la somme de travail…

  7. j’ai lâché la corde pour l’année à venir. Quand y’a trop, y’a même plus un tropico.

    On verra…après…avant…pendant.

    Merci.