L’entorse

Tomber, se relever, pas crier (Enfant, elle n’a jamais su comment faire)

Cet itinéraire, elle le suit pourtant deux fois par jour, aller-retour : se laisser porter par l’escalier mécanique, passer le portique inerte et froid, acheter trois baguettes à la boulangerie, pénétrer Le Bois du loup, prendre le raccourci terreux derrière le toboggan rouge et rouille, grimper la pente, souffler, souffler – PLATEAU- enfoncer le poing dans l’aine droite, pousser sur le point de côté, pousser, vérifier l’heure, s’asseoir sur la souche morte -120 SECONDES- Reprendre son souffle-120 BATTEMENTS-, récupérer l’intersection des quatre chemins, amorcer la descente vers les étangs de la Forge verte, courir, ne pas être en retard-  NE PAS ETRE EN RETARD- une racine en travers du chemin, une racine comme un cri, non, les racines ne savent pas crier -MENSONGE- une racine, empêcheuse de pleurer en rond, une racine qui ne sert qu’à la contrarier -TOMBER- Ne pas s’apitoyer, se remettre debout, poser le pied inerte sur le sol, masser la chair meurtrie, monter le volume du blues,  déconnecter l’appareil cardio-respiratoire, se concentrer, se mettre debout, prévoir le pas d’après – C’EST LE SECRET- prévoir le pas d’après.  

Course précipitée, elle entend les hommes, ils sont trois couverts d’une armure Lycra aux bandes fluos réfléchissantes.

-On peut vous aider, madame ?

Couper la peur, croire à une blague.

-On peut vous aider, madame ?

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