#40 jours #06 | Les cartes d’Olivier

Il souffle fort Olivier, il piétine, il se colle même un peu trop près. Ce n’est pas très grave, on connait le signe maintenant, on le laisse passer devant et il s’enfonce dans la jungle, presque en courant, pour disparaître. On le retrouve à chaque fois avec elle, comme on surprend deux amants. Il nous annonce avec gravité les dénivelés qui nous attendent, prend plaisir à nous terroriser en D-Moins et D-Plus. La carte est toute neuve et plastifiée, on se moque de lui parce qu’il en est fier, on se moque c’est vrai, on se demande l’intérêt de la lire aussi souvent, mais l’envie nous rattrape vite. L’envie de partager les confidences qu’elle et lui se chuchotent. L’envie d’avoir accès à ce monde et de le faire sien, d’avoir la jungle et les cirques pour soi, rien que pour soi, au mètre près. Il se presse de la ranger quand on arrive, on ne partage pas son conjoint si facilement, on ne partage pas ce qui vous a mis si longtemps à déchiffrer. On devrait, on pourrait mais on ne fait pas, je ne le fais pas, je ne partage pas les miennes de cartes, elles n’existent pas ou presque, je les ai construites dans ma tête il y a longtemps dans le bâtiment où je jouais été comme hiver avec mes briques en plastiques, connu par cœur le chemin du commissariat à la station spatiale – il fallait pour cela traverser une mer de moquette infestée de requins, connu par cœur le chemin pour retrouver le trésor enterré dans le jardin par une tribu de mon cru. Les cartes comme celle d’Olivier, je n’y ai jamais eu accès. Elles appartenaient aux adultes qui avaient des voitures. Les miennes ne tiennent pas le voyage, elles finissent trouées, déchirées, jetées ou perdues, comme celle du zoo qu’on égare toujours au même moment sans savoir devant quelle cage on a pu la faire tomber. La seule carte qui reste, c’est celle du monde accrochée au-dessus de la table à manger, on fixe toujours la même zone, on se lasse du monde, et puis parfois un hasard, un miracle fait que le regard s’accroche ailleurs et on découvre avec stupeur ce pays ou cette ville qui jusque-là nous avait échappé.

A propos de James Hardy

Auteur imaginé par un scénariste de télévision. Le premier n'écrit pas assez au goût du second qui, lui, travaille principalement pour des programmes jeunesses. Tous les deux font des fautes mais se trouvent toujours des excuses.