Les pieds dans l’allée

Ses pieds dépassent dans l’allée, le train est presque vide, qui a quitté tout à l’heure le petit ciel bleu et qui bientôt agrippera Paris. A part un bref arrêt pas prévu -ne pas descendre sur les voies (l’annonce ne précise pas que les portes de toutes façons restent fermées dans ces cas là), le train ne s’arrêtera pas. Certaines choses sur terre sont déjà lancées depuis longtemps quand on les croise. Nos visages, sur leur destin. Les fenêtres sont noires. Des mortes. Il n’y a pas de paysage. Que la nuit. Ou parfois, si elle se redresse, son espèce de reflet. Elle a le visage au niveau du repose-pieds. Comme dans l’église, la petite bande devant les sièges, sur laquelle elle pouvait poser la pointe de ses pieds assise, mais pas monter dessus lorsque c’était le tour d’être debout. Elle n’a pas déplié la tablette collée au siège. Est-ce qu’on pourrait se pendre, avec le petit filet, si elle le sortait, bien sûr, d’abord, de ses quatre petits clous aux coins qui le crucifient au siège? L’accoudoir est une grosse épée plastique et inoffensive, comme les requins en plastique sur lesquels on jette des bébés brassards dans des toutes petites piscines rondes l’été, et les requins sourient. La guillotine moquette bleue de l’accoudoir ne ferait même pas un bleu. La poubelle exactement au milieu des deux sièges devant. Ses genoux, petite, à l’arrière, entre les épaules de ses parents, et les cachettes que la voiture cachait: le petit bruit de mettre la boucle métallique de la ceinture dans le trou rouge, et après tirer sur la ceinture pour le lest. La petite vallée en bas des portières et jeter les bonbons et les papiers dés bonbons. La prise juste au-dessus de la poubelle. C’est un train nouveau, avec du wifi de l’électricité et un bar. Les toilettes marchent pas. 230 VAC, 130 W maxi. Le même ronron du train depuis plus de deux heures. Comme une chanson qui change jamais et c’est bien. Y aura pas de deuxième couplet. 

A propos de Milène

Milène Tournier est une auteure de théâtre, poésie et formes numériques. ( L’autre jour, ed. Lurlure; Poèmes d’époque, préfacé par François Bon, ed. Polder; Nuits, ed. La p’tite Hélène; Et puis le roulis, Ed. Théâtrales). Elle a écrit une thèse d’études théâtrales « Figures de l’impudeur ». Elle partage ses vidéos poèmes sur Youtube et écrit « en direct » sur Facebook.

Un commentaire à propos de “Les pieds dans l’allée”

  1. Comme le monde est menaçant, mortifère dans ce texte sombre sombre et magnifique. moi je veux bien d’autres couplets !