L’objet

#1 (25 juillet)

Dans le garage. Dans un sac noir. Un énorme sac noir. Sac noir qui me suit de déménagement en déménagement. Sac noir rempli poussiéreux. Acheté au Vieux Campeur il y a près de vingt-cinq ans. C’est là. Un objet en plastique beige. Une trentaine de centimètres de haut. La tête oblongue, le ventre affaissé, les jambes très courtes. Un des rares jouets que j’ai gardés. Il n’y a encore quelques-uns, probablement dans un carton chez mon père, quelques autres chez ma mère dans une caisse verte. Mais avec moi, celui-ci, une figurine de Star-Wars, deux peluches et c’est tout. Pourquoi celui-ci ? Je ne sais pas. Le symbole ? La séance de ciné une après-midi au cinéma de Neuilly. L’audace de l’époque qui parait bien fade aujourd’hui ou tout est possible à l’écran.  Mais il est là dans ce sac noir, dans mon garage.

#2 (27 juillet)

Dans le garage. Là, à quelques mètres en dessous de moi. Lorsque j’ai commencé, j’étais à mon bureau, à vingt-cinq minutes du garage. Là, il faudrait que je repousse ma chaise, que je descende quelques marches, traverse la cuisine et je serais dans le garage. Pourtant, je ne bouge pas.

Dans un sac noir. Un sac qui me suit de déménagement en déménagement. Un sac noir avec le logo du Vieux Campeur. Cette précision manque. Non pas qu’elle serve à la description de l’objet, mais l’objet est dans ce sac. Je l’ai acheté il y a vingt-cinq ans. Je voyageais beaucoup, ce sac était bien, une espèce de sac marin en toile épaisse, parfait pour subir des manipulations violentes.

Un objet en plastique beige. Un jouet d’une trentaine de centimètres de haut. E.T parce que c’est lui. La tête oblongue, le cou qui s’allonge ? Je ne m’en souviens plus. Je n’irais pas le voir, pas encore. Je le laisse dans le sac pour le moment. Le sac est coincé en hauteur, une étagère aménagée entre deux poutres sous le toit du garage.

Le personnage, tel que dans le film, le ventre marron, plissé, les pattes très courtes. Un des rares jouets que j’ai gardés. Il faudrait que je vérifie qu’il est bien dans le sac. Je suis sûr que oui. Je ne l’ai pas ouvert depuis quelques années, il était encore dedans. Je pourrais descendre, mais j’attends. La confrontation viendra, forcément.

Il ne me reste plus beaucoup de jouet. Mon père doit en avoir quelques-uns dans un carton dans sa cave. D’autres chez ma mère, une caisse avec des Playmobils, mes enfants ont joué chacun leur tour avec. D’ici quelques années plus personne ne jouera avec. Ils attendront une autre génération.

Avec moi, il n’y a pas de jouets d’enfance, enfin si, une peluche, un panda, avec lequel ma fille dort, une figurine de Star Wars qui traîne dans la chambre de mon fils. Pourquoi avoir gardé celui-ci ? Je ne sais pas. Je ne suis même pas sûr qu’il soit à moi. Peu importe, qui s’en soucie ? Alors pourquoi avoir gardé celui-ci ? Le symbole ? Le souvenir ? Celui de la séance au cinéma, à Neuilly. L’audace de la réalisation, la surprise devant des effets spéciaux qui paraissent bien fades aujourd’hui. Je ne sais pas. Mais il est là, dans le gros sac noir, dans mon garage.

#3 (28 juillet)

Reprendre le texte, se relire, le cheminement qui doit converger vers l’objet. Une narration, une histoire, un début, un milieu, une fin. On saisit le sens, le sac, le garage, l’objet, inconnu, invisible. L’insérer dans avec le reste des propositions, avec un fil conducteur, les sols, le téléphone, tout se suit, doit composer une amorce pour aller plus loin.

Dans le garage, on commence par cela, bien sûr, c’est le lancement. Le compléter ou garder l’expression telle quelle. Le sac noir, perdu dans le garage, dans un endroit qui demande l’oubli. Il est isolé, coincé entre le plafond et une planche en hauteur, une part de répudiation, pourtant la référence à l’objet qui est gardé de déménagement en déménagement. La référence à la marque, elle, ne sert à rien. N’est là que pour dire, j’ai beaucoup voyagé, cela n’a rien à voir avec le reste. L’épure, pas besoin de tartine. On se contrefout de savoir si j’ai voyagé, avec qui, où… Non, on parle d’un objet.

Un objet qui est un jouet. Un jouet, un « memorabilia » d’un film de 1982. Le film n’a pas d’importance, l’objet non plus. Alors quoi écrire dessus ? Tout refaire, remettre à zéro. Le plan était simple, le sac, le garage, l’objet, l’ouverture du sac, la vision de l’objet, le contenu qui ne correspond pas à l’attente, la description symbolique, fin.

J’ai ouvert le sac, le contenu est décevant, pas du tout la malle au trésor à laquelle je m’attendais, trois peluches et des souvenirs qui ne m’appartiennent pas, qui ne sont pas les miens. Ma malle au trésor est vide. Des mémoires de fac, des photos d’une fête qui avait l’air bien chiante, et pour moi, trois peluches, quelques paires de chaussettes, des genouillères, du matériel de camping, et bien sûr l’objet.

#4 (5 août)

On en est là, un objet, figurine d’il y a une trentaine d’années, exhumée d’un sac ne contenant rien des trésors promis, contenant des souvenirs qui ne m’appartiennent pas. Rien des souvenirs promis. Partis, envolés, plus rien. Seule la figurine est là. Plastique mou, marron, censé représenté un extra-terrestre. Mais elle ne m’intéresse plus, mélangée à des souvenirs qui n’appartiennent pas, qui ne sont pas ma vie. C’est ça le deal, la découverte du sac, tourner autour et puis enfin l’ouvrir se confronter à ses trésors et puis rien, le vide, aucune surprise, des souvenirs qui envahissent les miens. Les jeter ? Après tout, oui, c’est ce qu’il mérite, il n’avait rien à faire dans le sac noir. C’est mon sac, celui de mes souvenirs à moi, personne d’autre ne devait venir le coloniser. PERSONNE. La figurine ne m’intéresse plus. L’objet est mort. Il n’a plus de sens. Juste un morceau de plastique qui mérite un recyclage. Une semaine pour cela, pour du vide. Ma vie bouffée pour une autre qui n’a plus rien à y faire.

#5 (9 août)

L’objet est dans un sac noir pour baroudeur.

Ce sac contient des souvenirs que je transporte de déménagement en déménagement.

A l’ouverture, le sac contient bien l’objet, mais les autres souvenirs qu’il contient ne sont pas les miens.

L’objet a perdu tout intérêt.

A propos de Antoine Ravet

Animateur d'atelier il y a quelques années, photographe également, en recherche d'écriture.

5 commentaires à propos de “L’objet”

  1. Beau texte triste. Il est vrai qu’après avoir quitté son campement dans le placard, E.T. ne pouvait que repartir vers sa maison.

  2. Ceci n’était pas l’objet, ceci était le souvenir de l’objet ? L’objet dans sa matérialité crue est peut-être toujours décevant …

    • Exactement, en tout cas ce n’était pas l’intention de départ mais la temporalité a fait évoluer cette proposition de cette façon. Intéressant!!

  3. En revanche le logo du Vieux Campeur n’a semble-t-il rien perdu de son pouvoir !