#nouvelles | Nolwenn L. | titre en attente

Table
1-de l’art de ranger ses livres
2-histoire de mes librairies
3-choses perdues
4-livres et matérialités

1-de l’art de ranger ses livres

Dans l’éphémère alors se retrouvent rangés par taille, pêle-mêle dessus dessous derrière devant, à lire en premier, déjà lu qu’on ne relira pas mais qu’on garde, classique à lire peut-être, ceux qu’on peut éventuellement prêter et encore, ceux entassés parce qu’il faut faire de la place aux nouveaux, et parmi ceux-là ceux dont on se souvient plus et qu’on retrouvera en triant plus tard, et celui-là encore qui, pour ces raisons, est là deux fois.

Dans la petite étagère des toilettes, taille poche, L’affamée côtoie Les Grandes espérances. Et puis Homère à peine feuilleté. L’affamée me suffirait entièrement.

Dans la pièce, quatre petits espaces distincts, pour quatre fonctions distinctes. D’abord, la petite étagère au sol avec les dernières acquisitions, c’est classé par urgence à lire, envie de lire, si un nouveau arrive, c’est normalement là qu’il va, mais comme c’est une petite étagère et que c’est plein avec les gros Dhôtel qui ne sont pas en poche, avec la biographie de Napoléon qui prend de la place, L’Égypte des pharaons et cinq gros volumes de Dolores Canon et sa méthode d’hypnose régressive quantique, heureusement qu’il y a le fin De la matière à la lumière, il est sur le dessus la pile, les dernières arrivées vont en général sur le coin gauche de ma table. Ce n’est donc pas classé par genre mais par intérêt, ici Monique Wittig, ici André Breton, ici encore l’Ulysse dont je n’arriverai jamais à dépasser les dix premières pages. Je devrais d’ailleurs le changer d’étagère, il n’a plus sa place là. Il devrait aller dans le renfoncement du mur où j’ai fixé des planches en bois dont celle du dessus est réservée pour les livres gros et lourds, elle supporte normalement quinze kilos mais elle est je pense en surpoids. Hitchcock-Truffaut y est près de Degas. Goya est un peu tout seul, j’ai un autre espace dédié aux peintres mais il n’y a plus de place non plus, sinon ce serait plus précis dans le rangement. Donc : Dali, Rodin, Goya, un gros livre sur les ateliers d’artistes, le Street Art, Les femmes des années cinquante, Les Hauts lieux et leurs mystères, Le cinéma d’horreur, Le film noir, la collection Taschen a une grande place dans ma bibliothèque, Cinéma et peinture, Le cinéma en BretagneÀ la découverte des civilisations disparues. Sur l’étagère du dessous, de gros poches posés en tas, je ne sais plus ce qu’il y a là mais ils ont sans doute une bonne raison d’y être. Sans doute les Tolstoï, des Dickens, et mon précieux Anna Karénine à la couverture déchirée. Et puis tout en bas, en rangées tassés, ceux que je ne lis pas régulièrement mais dont je ne me sépare pas, aménagés encore en fonction de leur taille et de leur habilité à bien s’encastrer les uns dans les autres. Le dictionnaire cale en bas une série de poches allant des Familles d’âmes à L’Antéchrist. Les philosophes complexes comblent les trous à droite. De bas en haut, des revues Ligiea, pas commodes à caser à cause du format, les livres d’ésotérisme d’occasion, beaucoup d’occasion dans ma bibliothèque parce que je suis gourmande, mes étagères du coup sont en surpoids. En tête de piles et côte à côte : Le pouvoir de l’attraction en poche, À la recherche du temps perdu, intégrale quarto d’occasion et même collection, même occasion, l’intégrale de Duras. Un peu plus bas se distingue par sa couleur bleue un guide touristique d’Egypte où je ne suis pas encore allée. Il y a également en tranches visibles: Géométrie Céleste, Just Kids de Patti Smith, Les civilisations englouties tomes un et deux, Superforce, et Se souvenir du futur. J’y vois également des intégrales jaunes du théâtre de Corneille, c’était vraiment pas cher, mais Corneille je ne sais pas pourquoi, je l’ai ouvert une fois ou deux, mais c’est Corneille quand même, alors peut-être quand je serai plus vieille. Une autre petite étagère au sol accueille mes livres de peinture. Je les ai mis là plutôt qu’en bas du renfoncement car ils sont plus faciles d’accès. Je les ai posés en horizontal pour bien les voir et en mettre le plus possible : Sally Gabori, De Staël (x2 : en Provence et un pour le reste), Marlène Dumas, Otto Dix, Ceija Stojka, Vlaminck, Van Gogh, Jenny Saville, Emil Nolde, Léon Spillaert, et un gros Taschen sur l’expressionnisme. Sur le haut de l’étagère, Jean Paul Rioppelle, Eugène Carrière, Peter Doig, un livre sur le visage et plein de petits formats Éditions Place des Victoires : de Modigliani à Munch en passant par Odilon Redon, le Gréco, Cézanne, Hopper, Soutine, Moreau, Schiele. Et puis deux Taschen format quarante, Basquiat et Caravage. 

Avant de passer au dernier endroit, les trois étagères au mur, j’en oubliais deux de l’autre côté avec des poches théâtre et poésie (des anthologies, des classiques), je les feuillette quand c’est extrêmement nécessaire. Les deux étagères sont brinquebalantes, je les ai posées moi-même et je ne savais pas que mon mur n’était pas droit. Il ne faut pas trop y toucher sinon tout tombe.

Le dernier endroit donc, avant je veux quand même dire les livres sur ma table que je lis en ce moment, mini bibliothèque : Arséni Tarkovski, L’Instruction, L’homme qui dort, L’état d’enfance, Dessiner avec le cerveau droit, Ce monde est mon partage et celui du démon et Mes merveilles. Il y a aussi Bleak House que j’ai commencé mais je n’arrive pas à m’y remettre. Il est posé au cas où.

Mon dernier endroit. Tout en haut, sur une étagère de taille moyenne, classique, six rangées de poches posés horizontalement, avec environ sept à huit livre par tas. Là encore, c’est la taille qui fait la rangée et ils sont en haut parce que je les aime mais ne vais pas les relire de sitôt. Il y a mes Faulkner, mes Graham Hancock, mes Rostand, mes Hugo. Dessous, j’ai mes deux Pléiades mis en évidence parce qu’ils sont beaux : Jane Austen et Claude Simon. Bachelard y côtoie Jean Delumeau, Salman Rushdie André Gide, Zola et tous mes Christian Bobin. Ressusciter est posé en évidence parce que je le relis souvent. Enfin, dernière étagère, des livres d’essais sur le cinéma, l’écriture de scénario, Save the Cat, des livres de Pipo del Bono, Artaud, et Le Roman lumineux qui est là aussi, même taille, et parce que c’est un de mes plus beaux souvenirs de lecture, j’aime à le voir souvent. À côté, le Journal de Virginia Woolf, Le murmure et mon Stabat Mater dédicacé. 

Chantecler est en trois exemplaires. 

Je suis à la maison. 

2-histoires de mes librairies

La librairie Acqua Alta.

Venise. Elle est nichée dans un renfoncement au bout d’une rue dans le centre. Dehors, des bacs avec de vieilles cartes postales, affiches posters avec recettes de cuisine Panettone et pizza et gnocchis. Il est dit que c’est la plus belle librairie du monde. Passé le dehors et ses bacs à un euro et ses cartes postales pour touristes, l’intérieur est serré. En longueur, deux gondoles remplies de nouveautés. Elles font la longueur de la librairie. Passé la dernière gondole, deux choix : à droite, un renfoncement qui débouche sur un canal, on peut arriver en gondole à cette librairie bien sûr, on arrive là. À gauche, un endroit étrange pour photos touristiques. Des escaliers en forme d’amphithéâtre constitués uniquement de livres pourris entassés les uns sur les autres. Chacun son tour, on monte sur les marches livres, on s’assoit, photo. C’est laid, c’est triste ces vies sur lesquelles on s’assoit, mais les touristes aiment apparemment, puisqu’on fait la queue pour ça. Quand on revient à l’intérieur, en se glissant par l’autre côté des gondoles, un petit rayon livres français, des anthologies retrouvées sans doute dans un appartement vénitien, rien qu’on apporte en voyage et qu’on laisse là, à vendre, à donner, pour des lecteurs un peu curieux. Non. Des anthologies sur la numismatique je crois, ou bien un précis d’histoire qui n’est pas à jour ou un livre sur coin d’Auvergne que personne n’ouvre. Une autre petite pièce en longueur dans laquelle il faut se glisser de profil tellement c’est mince, et là ce sont les livres d’histoire, d’histoire de l’art, d’histoire de tout. Ici c’est en anglais. Je ne sais pas si c’est la plus belle librairie du monde, je n’ai pas fait toutes les librairies du monde. J’en retiens des gondoles atypiques bibliothèque improvisée, j’en retiens un sens de circulation précis auquel il ne faut pas déroger sous peine de se coincer entre deux étagères dont on ne pourra rien extraire, tellement les livres sont serrés, tellement il ne faut pas qu’on les ouvre, tellement il n’y a pas de place. Une librairie vitrine, mannequin immobile autour duquel on tourne comme une curiosité. Je cherchais La mort à Venise en français, il n’y était qu’en anglais, j’ai acheté Légendes vénitiennes et histoires de fantômes. Marque page panneau jaune San Marco.

Gibert ésotérique.

Sur les quais, entre Notre-Dame et la place Saint Michel, la librairie Gibert ésotérique. Quand on pousse la porte, il y a une odeur d’encens. Déjà, on est ailleurs. Avec les Ovnis, avec les Illuminati, les chamans, les guérisseurs, les médiums, les lieux mystérieux, les fantômes et les anciennes civilisations. Ici se côtoient les connaisseurs en sciences occultes, en développement personnel, en religions, en hypnose, en complotisme. Il n’y a pas de curieux ici, il n’y a que des spécialistes qui se retrouvent entre spécialistes qui osent parler librement de l’ailleurs, qu’il soit mort ou tombeau antique ou mythique cité disparue. Ou l’aura. Ou la communication avec les morts et les chiens. Les libraires sont souvent occupés, ils portent un bracelet de pierres qui font du bien, ils sont assaillis de questions, ils connaissent leur domaine. J’y ai trouvé un livre sur Lagartha, capitale du centre de la terre creuse, le libraire en voyant le prix dérisoire m’a regardé en disant « c’est une belle trouvaille ». L’alchimie aussi. Et les pyramides. Ici le monde se créée de mille façons, se défait tout autant, c’est un paradis du possible. Quand on en ressort, le monde est plus mystérieux qu’avant, et nous plus mystérieux aussi, à la recherche peut-être, de notre famille d’âmes.

Le paradis sur terre.

Le grand Gibert Joseph Boulevard Saint Michel. Escalators sur quatre étages. C’est un escalier qui mène au cinquième et dernier étage, rayon médecine et physique chimie. Les yeux écarquillés devant tous les rayons comme un matin de Noël. C’est une librairie récompense. Les responsables du rayon art parlent fort. J’y ai croisé Fabrice Midal. J’y ai vu une altercation entre deux hommes qui ont failli se battre devant le rayon photographie. Une fillette qui criait à sa mère combien la couverture d’un livre était jolie. Les employés par contre, sont toujours à trier, ranger, déranger, reranger. J’y passe parfois des heures à tout découvrir. À alterner entre l’étage poche et l’étage du dessous. À vérifier régulièrement s’il n’y a pas tel ou tel artiste que j’aime et dont je ne trouve jamais la monographie. Je n’y demande rien, j’attends. Je sais qu’un jour, ce livre y sera. C’est ça Gibert. J’y trouverai à chaque fois, en quelque jour un peu plus triste, de quoi me donner chaud, de quoi me faire du bien, de quoi m’ouvrir le cœur. 

3-Les choses perdues

1          Une paire de mitaines reçue en cadeau

2          Une vie dans le bar de l’Ouest

3          Mes diplômes depuis le bac

4          Le titre de cette chanson

5          Un ami et plus tard une amie

6          Un bracelet sur un parking

7          Mon premier amour bien sûr

8          La recette du riz au lait

9          L’échantillon de sable de la plage où je n’avais pas pu aller

10        Quelques mots avant les départs

11        Mon Lambeaux de Charles Juliet dédicacé

12        La joie, un peu

Joie : la joie est une émotion ou un sentiment de satisfaction ou de plaisir, qu’éprouve un individu au moment où une de ses aspirations, ou un de ses désirs vient à être satisfait d’une manière réelle ou imaginaire – ou parfois, sans raison apparente (Wikipédia) ; émotion agréable et profonde, sentiment exaltant ressenti par toute la conscience (Le Robert).
Un peu : faible quantité (Le Robert).

S’en est allée petit à petit. Vient moins facilement. Sans doute ça. Les couleurs sont un peu moins vives. Les rires sonnent un peu faux. Les sourires sont de façade. Tout est quelque part intéressé, même une certaine définition. La joie c’était faire les choses pour rien. Aujourd’hui il y a un peu partout la guerre, et les maladies qui amputent, les gens qui manquent et le sombre envahit. Les matins sont un peu lourds. Place alors pour la solitude des entourés. La solitude profonde qui n’a pas besoin de reconnaissance. À permettre le manque au lieu du plein. Bougie plate. Masques durs. Ventres secs. Yeux vides. Rêves petits. Discours moins longs. Plus de discours, seulement écouter. Rien à dire. Voir mieux. Une raison à. Savoir qu’on peut surmonter. On surmonte. Le cœur. L’œil qui goûte. Aimer pour rien. Ivre de découvrir. La magie merci. 

4- Livres et matérialités

Ce qu’il me reste de l’un, le plus ancien sans doute, c’est un impossible. Je ne savais pas encore lire, ou bien si peu. C’était un livre d’images avec du texte dessous, il s’agissait d’un lapin. Format A4, mince, petite histoire, papier glacé. Il y avait, dès le début face au livre, cette frustration ne pas arriver à lire plus qu’un premier mot, ce mot aujourd’hui je ne m’en souviens plus. Ce lapin était par contre ma première raison de vouloir lire à tout prix. Qu’est-il arrivé à ce lapin ? Aucune idée. Mais j’ai appris à lire.
Couverture cartonnée épaisse, rouge. Le petit lord. Venu d’une armoire de la maison qui appartenait à ma grand-mère. Les livres ont dormi là des dizaines d’années dans cette armoire de bois qu’on appelle normande, parce que massive, indestructible presque. Je les ai pris ces livres. Certains j’ai lus. Et celui-ci, Le petit lord, cartonné cuir rouge, je l’ai beaucoup lu. La peau sentait le vieux, rigide comme une carcasse qui a tenu. Il me reste de lui une émotion d’amour. Je ne le relirai pas. Comme je ne relirai plus Le grand Meaulnes pour ne garder que la magie de ce château. Était-ce d’ailleurs un château ? Je ne me souviens pas des noms, ni des histoires, parfois même des titres. Pas de début milieu fin mais je me rappelle d’avoir été émerveillée ou consolée, je me rappelle avoir été punie pour lire ces livres tard la nuit, pour vivre l’aventure jusqu’au bout, je me rappelle que ça n’était pas bien vu. Je me rappelle donc que Le Petit Lord c’était pour égayer le triste d’avant. Bobin c’est pour égayer le moyen d’aujourd’hui, avec ces pages qui ne sont pas trop remplies, qui permettent de s’y glisser et d’y déposer un peu de nous. Et ma bibliothèque regorge de ses livres à moitié remplis qui côtoient les denses et leur musique d’opéra, pour eux il faut du temps devant soi, ce sont les livres grandes occasions de la cave qu’on ouvre quand c’est le moment opportun. Les couvertures je les malmène, je les plie, ça rentre dans un sac ou dans une poche, mais l’intérieur je n’y touche pas, l’intérieur c’est sacré. Pas corné, pas surligné, rien. Je veux pouvoir rouvrir le livre et faire comme si je n’étais jamais venue. J’aime avoir encore, une première impression et m’émerveiller de nouveau devant cette toute première phrase. 

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