#P5 | Débandade

Rebrancher la machine. Retrouver le sens de l’absurde et faire avec. Pas pleurer, surtout.

« C’est ta parole contre la sienne » Il n’arrête pas de dire ces mots assassins. Et comment lui dire qu’à l’école, petite, déjà on ne me croyait pas ? J’ai un blanc. Impossible de me rappeler la chronologie des événements. Je suis à l’arrêt. Je ne sais plus de quoi je devrais rendre compte. Aucune mémoire. Muselée devant cette parole aboyante. J’ai comme un épanchement de mou dans la tête. Il gagne du terrain, m’engourdit. Je suis comme un animal traqué, un cerf ayant perdu ses bois. Comme atteinte d’une léthargie. Perdu le chemin de la pensée. Les mots patinent sur ma langue. Je regarde son crâne chauve puis m’attarde sur sa nuque. Je me dis qu’il veut me tuer. Je regarde le mur derrière lui. Je prends possession du mur. Il est jaune poussin, c’est une couleur qui n’est pas appropriée au bureau, voilà ce que je me dis. Je fixe ce mur qui me rattache à un semblant d’existence. Ce mur que j’examine minutieusement m’amnésie de sa nuque. Je reste muette.


Bouche haletante crachotant ce staccato venu impromptu. Et maintenant ininterrompu. Les mêmes mots encore et encore comme même bande son dans corps roide.

Il dit et se sont des absurdités, des mensonges. Debout, j’écoute et je suis bien décidée à ne pas répondre, ne pas entamer une discussion de plus et qui serait comme les autres, stérile. Mais je ressens comme un sentiment d’impuissance à me contenir et la raison voudrait que je tourne les talons maintenant. Quitter la pièce sans plus attendre. Au plus vite avant que d’être entraînée sur une pente glissante, avant qu’il ne soit trop tard. Je me le dis et me le répète. Et dans cet instant, cet instant de lucidité voilà que mon corps, lui veut autre chose. Il se raidit. Mes poings serrés au fond de mes poches s’enfoncent encore. Jusqu’à déchirer le tissu. Je suis aussi tendue qu’un poil de crin sur son archet mais pour le moment, je tiens. Je crois. Il y a comme une dissonance entre ce que je me dis -toute mon attention est convoquée pour ne pas craquer- et ce qui se passe. Ma bouche absorbe la dernière salive, mes lèvres sont pincées et quelque chose en moi se gonfle, respire fort et vite. Je sens la brèche s’ouvrir. Il faut arrêter cette perfusion destructrice de lui à moi me dis-je encore. Et puis ça part. Incontrôlable, le flot de paroles…








A propos de Louise George

Diverses professions et celles liées au "livre" comme constantes.

7 commentaires à propos de “#P5 | Débandade”

    • Merci. C’est quelque chose qui est arrivé et j’en garde encore un souvenir vivace. Sidération. Je ne sais si j’ai pu le retranscrire…

  1. oui, on est devant la sidération. Vos textes me font penser à ceux de Nathalie Sarraute (« Tropismes ») dans cette impossibilité d’agir.
    J’aime la fixation sur le mur jaune dans le premier texte : comme dans ces moments de sidération, on s’accroche à un détail comme on s’accrocherait à l’illusion d’une bouée dans une noyade…