P#5 Funambulesque

reproduire à l’identique le pas mal assuré de l’enfant que le corps a mémorisé profondément ressurgi de nulle part

le sol se dérobe sous son pied il suspend la marche pour retrouver un semblant d’équilibre lequel n’a plus aussi bien il dort debout prisonnier du corps otage de l’esprit l’incomplétude du geste la sclérose du mouvement tout indique la désertion du corps mais pas encore l’abdication la pesanteur des membres la résistance de l’air réfractaire à l’avancement du pied au déploiement de la jambe à l’aisance de la marche enfin le corps dégagé les bras chorégraphiant cette danse à moins qu’une main ne se glisse négligemment dans la poche du pantalon la tête haute et nue le regard droit les omoplates pointant comme l’arceau d’un cintre le maintien est bancal les hanches ne sont plus d’équerre le dos tire vers la gauche

laisser entendre le bruit d’un élastique qui claque quand aucun son ne sort de sa gorge serrée alors qu’un cri aurait nié le silence

l’horizon tendu comme une corde à linge se serre dans le cadre rectangulaire du carreau de la fenêtre il lui faut l’immobilité du funambule pour garder l’équilibre dans la traversée du paysage de brume une petite chanson de mots têtus danse dans sa tête alourdie il recule imperceptiblement parce qu’il ne peut pas rester là perdu déjà par le fin liseré de lune qui suit sa marche lente et solitaire comme une apostrophe à l’élision des mots

une flèche vous transperce et votre conscience s’évanouit

une cheville tourne le genou se vrille les bras peut-être se tendent pour retenir le corps qui s’affaisse l’espace autour de vous se rétrécit oppresse votre poitrine étreint votre crâne l’air faiblement pénètre vos poumons le soleil se fige une boule vous noue le ventre votre regard fixe une chose intérieure le champ s’étend jusqu’au ciel d’acier le paysage alentour devenu trop grand se vide rapetisse votre esprit la terre tangue au bord d’un trou noir peut-être des images défilent-elles émergeant dans l’obscurité soudaine

A propos de Cécile Marmonnier

Elle s’appelle Sotta, Cécile Sotta. Elle a surtout vécu à Lyon. Elle a été ou aurait voulu être marchande de bonbons, pompier, dame-pipi, archéologue, cantinière, professeure de lettres certifiée. Maintenant elle est mouette et fermière. En vrai elle n’est pas ici elle est là-bas. Elle s’entoure de beaucoup de livres et les transporte avec elle dans un sac. Parfois dans un carton quand il ne pleut pas. Elle n’a pas assez d’oreilles pour les langues étrangères ni de mémoire sur son disque dur. Alors elle écrit. Sur des cahiers sur des carnets sur des bouts de papier en nombre. Et elle anime des ateliers d’écriture pour ne pas oublier de vivre ni d'écrire.

12 commentaires à propos de “P#5 Funambulesque”

  1. J’aime beaucoup. Ton texte résonne comme une litanie, dans son acception la plus positive. Un chant parfois.

  2. ah oui ! vouloir crier, hurler et qu’aucun son ne sorte ! Satisfaction-désapointement quand on a quand même émis un bruit que le compagnon de lit a perçu et fait remarquer, un vague vagissement qui n’a rien à voir avec l’effroi ressenti et le hurlement qu’on tentait de pousser à en déchirer la nuit

    Le sol qui se dérobe aussi, sensation à explorer

    Merci de ces pistes

  3. Laisser entendre le bruit d’un élastique qui claque quand aucun son ne sort de sa gorge serrée….
    Comme j’aurais aimé trouvé ça , c’est tellement vrai
    et l’immobilité d’un funambule pour garder l’équilibre
    Ça raisonne très fort en moi .
    Bravo pour ces ondes de choc

  4. J’aime beaucoup, particulièrement « une flèche vous transperce et votre conscience s’évanouit » et le rythme du texte qui suit m’a prise, comme un pantin qui se désarticule progressivement dans un paysage lunaire. Merci

  5. Effectivement une belle résonance entre nos textes ! merci pour ce funambule et plus particulièrement le dernier paragraphe

  6. Peut-être parce que je n’ai jamais réussi à marcher droit (leçons de danse corrigeant un temps la mauvaise démarche reprise depuis) mais ce déséquilibre ressenti dans votre premier « fragment » me prend le corps !