L5 Mensonges et montagnes russes

Elle ne sait pas ce qui lui arrive, d’habitude elle est forte, courageuse, intouchable, le choc était trop dur, trop soudain, elle n’a pas réussi à se protéger, elle a plongé en plein dans le malheur, pas de panneau stop attention ralentir se méfier, elle est ivre de chagrin, marionnette, elle marche, de travers, mais elle marche, le mouvement lui a toujours fait du bien, marcher, courir, ça la répare, renforce ses défenses, mais là, elle est anéantie, elle ne l’a pas vu venir, on s’aimera toujours, il est beau, c’est lui que je veux, il m’aimera, on aura une belle vie, une belle musique, elle était naïve, il aurait fallu un peu de retenue, de distance, il aurait fallu savoir que le bonheur est éphémère, que la vie n’est pas un chemin tout droit, sans cailloux, sans cahots, il aurait fallu se contenter de moins, pourtant  il m’a dit qu’il m’aimerait toujours , mais  il faut croire que la vertu des hommes est déjà un mensonge affreux, il me prenait dans ses bras, je me sentais chez moi, protégée, entourée, pas un doute, pas une petite incertitude, je lui faisais confiance, j’avais tort, j’aurais dû me rappeler les mots d’Ondine, les bras des hommes leur servent surtout à se dégager,  je ne suis pas une fille des eaux, je me croyais lucide, clairvoyant, pas un instant je m’attendais…les manèges, ça tourne, sa tête aussi, les montagnes russes, elle connaît, c’est le moment de la descente vertigineuse, sans appuis, terminus dans l’eau froide qui asperge, qui douche, qui noie, elle les voit, les enfants et les grands qui rient, qui crient de joie et de peur, elle, c’est la peur au ventre maintenant, mais sans les jeux, sans joie, angoisse du lendemain, avenir dévasté, sans but, comment je vais la reconstruire, ma vie, ma vie, c’était lui, vingt ans d’amour, de perfection, tout allait bien, on s’était apprivoisé, on se connaissait bien, à fond, l’un et l’autre, couple fusionnel, enfin, il me semblait, illusion, mirage, je l’ai inventé, mon homme, j’aurais dû mieux écouter, il me l’avait bien dit, pas de contrainte, pas d’enfant, pas de famille, liberté, créativité, sa musique avant tout, c’était le pacte, ça ou rien, elle ne sait plus comment, pourquoi, elle marche, idées pas claires du tout… pas de rires d’enfants, pas de câlins de bébés, il m’aura tout pris…sanglots, elle s’étrangle, elle s’étouffe, après le chagrin, la rage, elle court, bouscule, aveuglée par les larmes, pas de fierté, pas d’orgueil, ça viendra plus tard, peut-être, pas montrer que ça fait mal, les mensonges, les tromperies, les dissimulations…elle se laisse aller dans la foule, a oublié son amie sous la grande Roue, ne connaît personne, ne voit personne, une quille qui vacille dans un jeu cruel, le fiel de la haine qui monte, amer, la colère s’affirme à chaque enjambée…elle sera forte, elle trouvera, pas question de sombrer, elle court, trébuche, tombe d’épuisement dans l’herbe fraîche au milieu d’une  prairie de printemps, le nez dans des pétales d’or, les mains accrochées à la terre… elle reviendra au soleil…plus tard…bientôt…

Citations et inspirations de Jean Giraudoux, Ondine

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.