#P8 Photographies

Es tu la? Tu te délites lentement dans la mémoire, jauni, sous la poussière de l’album de famille.

Tu viens le troisième, le premier à tout pris, la deuxième n’a pas survécu . Allergique au lait de vache, tu grandis mais ne grossit pas. Tu es dans le berceau d’osier, nouveau né invisible sous l’épais édredon. Ton frère étonné se penche pour mieux t’apercevoir.

Tes parents ne s’aiment pas, se sont ils jamais aimé ? A droite ta mère, robe blanche toute en tulle, porte une voilette, elle ne le regarde déjà plus, il ne la voit pas.

Ta mère est douce, te chante de sa voix pleine des chansons. Tu as l’air très concentré,ramassé sur ses genoux. Sur les tiens le petit abécédaire où elle t’apprend à lire.

Les rares interactions avec ton père sont froides violentes incompréhensibles. Tu te tiens bien droit dans ton aube de premier communiant. Visage angélique. Pourtant, déjà, dans tes grands yeux rêveurs, comme une fêlure.

Puis la vie tourbillonne, entraîne, ne laisse pas de répit. Premiers amours. Tu n’es pas très à l’aise dans cet exercice. Ton visage flou parmi d’autres visages flous. La moustache dessine déjà une ombre sur ton visage. Tu gardes en toi l’habitude tenace de rêver le monde. Tu idéalises tes semblables. Tu t’éparpilles entre un passé rassurant et un futur meilleur. Pas tout à fait dans le présent, tu es trop innocent, trop avant-gardiste.

Puis il y’a toi et elle. Elle semble si légère dans tes bras. Ton grand corps sec dont on devine la musculature fine sous la peau. Bonheur de construire à deux cet histoire universelle.

Le temps des cerises arrive et amène avec lui l’innocence. Ta fille est là. petit corps fragile tout en courbes rosées. Tu la berce comme si tu tenais le monde au creux de tes bras. Instants de bonheur brut, d’amour presque étouffant. La responsabilité est lourde à porter de guider cette nouvelle vie de lui offrir tout ce que tu n’a pas eu. Tu prend cela très au sérieux. L’Enfance reprend le dessus et rouvre avec elle la fragilité du présent.

Tu t’éloignes peu à peu, lent effondrement à peine perceptible. L’enfance n’attend pas, l’enfance est exigeante. Elle est sacrée à tes yeux. Quatre ans plus tard, court instant de répit, nouvel instant de grâce : c’est un garçon. Dans le petit salon tu disparais presque derrière le journal ouvert. Sur une couverture à tes pieds un nouveau né joufflu joue avec son hochet

Cela ne change pas le cours des choses. Les rancœurs cumulées, les disputes, rongent le couple de l’intérieur. Il est temps de se séparer. L’a tu vraiment voulu au fond ? Tu contemple l’acte de divorce. « Consentement mutuel » : il faut être deux pour consentir pourtant tu ne t’es jamais senti aussi seul. Tu fume la pipe le regard ailleurs assis à une terrasse. Personne ne t’aperçoit.

Le virage s’amorce, imperceptiblement. Moment comme volés avec tes enfants, tu joue avec presque plus de concentration qu’eux. Tu ne te ménage pas, cabanes, ballades interminables, pitreries dans les arbres, chansons, histoires murmurées. Ce père sans fierté et sans amour que tu a connu ce ne sera pas toi. Tu es là assis en tailleur un livre sur les genoux. Deux enfants aux cheveux d’encre semblent suspendus à tes lèvres.

Le reste du temps c’est la solitude. Les amis de passage ne suffisent pas à recoller les morceaux de ton imaginaire. Tu choisit un beau jour d’été, ton esprit est limpide, tu ne t’es pas senti autant en accord avec toi même depuis longtemps. Aujourd’hui c’est la fin de tout ça. Tu es enfin maitre de ton destin, fort de ta décision. Tes gestes sont un peu tremblants, puis c’est l’immobilité, infinie, certaine,rassurante.

Les pages qui suivent s’écriront sans toi. Vides

A propos de Géraldine Queyrel

Vend des rêves dans la vie réelle Rêve de fiction le reste du temps. Son blog : antepenultiemefr.

10 commentaires à propos de “#P8 Photographies”

  1. hou la, c’est le thème de la proposition #9 qui se profile… mais ce sera l’occasion de prolonger et développer, ou parler des mêmes images à partir autre dispositif narratif ça peut être intéressant aussi…

  2. j’aime cette fragmentation, ces ellipses, cette vie qui se déplie en pleins et creux

  3. j’aime beaucoup l’impression de précision chirurgicale, presque froide, détachée pour donner toutes ces informations qui parlent pourtant d’un être et de ses liens… glaçant… 😉