#P8 (suite) — Given under my hand…

Tu nais deux mois trop tôt on te mets dans une boite à chaussures. Coton, cocon. Tu survis. Tu nais d’elle qui ne te veux pas. Qui saute un jour de sa fenêtre, se manque, te manque.

que  l’enfant irait  dans la boite – irait dans le coton – tu as dit –  elle  qui voulait un ange – elle qui voulait un enfant mort – et pleurer des larmes noires – elle qui voulait –tu as dit

De lui, celui du sang ( l’as tu dit) tu ne sais rien. Tu dis qu’il s’appelle Fleur c’est le nom que tu t’imagines. Monsieur Fleur. Un anglais. C’est ta fable. Un autre t’offre son nom. Monsieur B. qui fait de l’argent et couche avec les bonnes. Il t’offre un petit cheval Arabe racontes-tu, c’est ta fable. Tu grandis chez les religieuses. Et ce n’est pas une fable. C’est là que tu grandis. Loin d’elle qui vient te voir quelques fois.
Tu dessines. Dans la mie du pain tu sculptes des visages. On te rabroue de gâcher la mie. On garde ton Jésus pour la crèche » puisqu’il est fait ». ( tu ne l’as pas dit j’imagine comme je t’imagine une autre vie )
Tu te laves en chemise on ne se dénude pas devant Lui. Qui? L’ange me dis-tu. Le gardien. Tu apprends à lire. Tu apprends à compter. Ce que tu vois te hantes. Visages/Images. Leurs images pieuses.

Entre les murs blanchis de chaux, la guerre n’est qu’un tumulte assourdi. Les jours de visite au pensionnat on ne parle pas de la guerre, les familles taisent leurs morts. Des absents qui ne reviendraient pas. Des ombres héroïques. — Le pays a besoin de vos prières, disent les religieuses. Le bruit des canons, ne traverse pas les murs centenaires. Tu récites des actions de grâces dans la chapelle gelée.« Dieu a donné son fils unique ! » Dieu et son fils grelottent sur vos lèvres d’enfants. Vous  brodez du linge, de grandes camisoles. Vous copiez des images pieuses que les religieuses expédient vers le front. Tu dessines. Jours et nuits . Tu couvres les pages de dessins. Tu copies les images des livres. Vierges, saints martyres, christs. Copies le visage extatique recevant l’annonce. Copies la vierge allaitant et les enfants ailés demi nus qui font ronde. Copies. les saints aux yeux écarquillés. Les cieux toujours bleus. Des étoffes se déploient autour de ces corps mystiques, Jésus de douleur dont le drapé des suaires te fascines. Étoffes comme d’eau. Leurs plis tumultueux,  Un jardin ouvre la page d’un livre. Tu copies: ces fleurs, cette rivière, ces bêtes au regard doux et l’arbre où comme sur le papier des chambre les fruits se démultipliaient, identiques. Tu reproduis puis tu inventes. "Elle broda, goutant une liberté qui lui sembla sans fin. Les fruits se changèrent en visages, les fleurs en animaux hybrides. Un arbre aux bras démultipliés traversait des nuées d’or, la rivière coulait, rouge. On voyait des oiseaux à têtes d’enfant, un serpent couronné" Les religieuses exposent tes dessins comme modèle d’insanité puis elles te commandes de les réduire en fragments minuscules. Tout est jeté au feu. "Blanche dû jeûner et prier à genoux, des journées entières dans l’angle d’un mur nu. Ses camarades chuchotèrent ; on parla de ses dessins et de leur imagination merveilleuse. Elle avait bouleversé la monotonie de leur vie recluse. On la plaignit et on l’envia. Blanche retourna alors son crayon vers les visages qui vivaient autour d’elle." Tu observes — tu voles le papier jusque dans les cuisines, rebuts de pains ou de viandes qu’on livre enveloppés. Tu dessines en te cachant. "La semonce brutale des religieuses brisa son imagination.  Blanche ne s’affranchirait plus du réel. Elle croqua avec une application documentaire. Elle voulait qu’on reconnaisse l’une et l’autre, qu’on puisse nommer chacune." Journal en image. Journal d’une vie recluse" Tes carnets gardent trace.

Tu veux peindre. D’où attrapes-tu  ce  désir comme fièvre? Il s’ancre. Peindre!

vois-tu – flottant – ivres – leurs courbes – leurs ellipses – leurs corolles – de couleurs ivres sur la toile – où – se glisse – le grain – je peins – vois-tu – flottant – ivres – leurs courbes – leurs ellipses – leurs corolles – fleurs de couleurs ivres – c’est dans la grange – où – je me tiens – devant la toile – la toile avale les couleurs – c’est dans la grange – et – le vent – frappe – 

Peindre dis-tu. Elle t’interdit l’école d’art — Artiste, mais tu délires ? Dit celle qui paye ses robes avec sa bouche .
On t’accorde un petit métier. Tu retouches des photographies. Où? Quand? Est-ce là que tu le vois ? Qu’il arrive? Qu’il t’arrive qui parle à peine ta langue. Ce soldat. Photographe des tranchées. L’américain. Et sur son visage un rivage. Tu le vois comme un paysage. Tu le vois comme ta liberté. Te marier pour fuir? Tu fais les choses dans le bon ordre, tu ne fais pas comme Elle, la mère repeinte avec ses lévriers et ses chiens de salon. Monsieur B. t’offre son bras. Tu n’as pas vingt ans . Tu es légère sous les broderies de ta robe nuptiale. Tu marches vers l’autel, les officiers te font une haie d’honneur, cependant que ton regard s’absente.

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

4 commentaires à propos de “#P8 (suite) — Given under my hand…”

  1. Je poursuis la lecture de ce texte décidément très fort et très prenant…j’aime vraiment beaucoup. Bravo.

    • Merci beaucoup Bruno pour les encouragements. Je vais essayer d’avancer « par là »

    • Merci infiniment Géraldine ( quel compliment) ça me donne aussitôt envie de replonger dans ce Bateau