Planète habitable, maison châtaigne.

On en est donc à là, sur une frise qu’on tracerait en tremblant, de découvrir des planètes habitables et sur les réseaux réagir, comme quoi d’abord sauver la nôtre plutôt et que 31 années lumières faut pas avoir oublié quelque chose et vouloir revenir. La maison châtaigne donnait sur la place du village. On accédait par un gros escalier à une seule grande pièce qui était le premier étage, en haut pour coucher et les commodités. La maison de campagne d’un couple d’amis des parents, elle et lui médecins. Avec ce degré là alors d’un peu exceptionnel, d’être non seulement la maison d’amis, mais en plus, pour ces amis, leur maison secondaire, qui d’ailleurs s’opposait, de façon presque symétrique, à leur appartement de ville où souvent nous passions les fêtes d’hiver: l’appartement, luxueux, était exigu et collectionnait statuettes d’anges et porcelaines derrière de longs meubles vitrés, et les rois mages devaient, pour tenir dans l’espace consacré à la petite crèche sous le sapin, comme une flaque serrée, avancer en ligne, si bien qu’on eut dit plutôt mes amies Sofia Mélissa et moi dans la cour, accrochées aux bras les unes des autres, qu’Abraham Balthazar et l’autre en solennelle et silencieuse file, les cadeaux entre leurs mains. La maison de campagne au contraire était grande, cette pièce du bas en tous cas, toute arrangée autour et pour sa belle table de bois, qui en profitait bien et s’étirait ainsi qu’un grand chat de son tout long. Deux fenêtres et la table, sinon rien dans la pièce, comme on n’irait pas mettre dans un berceau, fut-il très grand, autre chose que seulement un bébé. Pas même un canapé, et c’était sur le lit en haut qu’on posait nos affaires,  les manteaux, mes chaussures que j’aimais mieux enlever, et les devoirs que maman m’avait le matin forcée à prendre, si tu t’ennuies, et sinon je sais comment c’est, de finir à minuit, et papa s’en mêlait, qui faisait semblant d’appeler la maîtresse ou la police, et j’avais haine à ravager des sapinières entières. Ici on verra marmottes, chèvres et chamois, biches si on a de la chance et qu’on fait peu de bruit, les biches c’est toujours maman qui les voit, je crois parce qu’elle est douce et calme, et peut être parce qu’il faut, comme parait-il avec aussi l’amour, cacher qu’on attend tellement, avoir vraiment l’air de se trouver tout à bien fait d’être juste là, et si biche vient ce sera comme une noix concassée à l’intérieur d’un gâteau et tomber dessus, on l’aurait aimé déjà sans, on l’aime encore mieux maintenant. Maman dénichait les biches, et, plus chanceuse que nous ou touchée par une forme de grâce, ramassait comme champignons les trèfles à quatre feuilles quand je tentais maladroitement d’en former un, pétales entre mes doigts, en collant greffant un quatrième à déjà trois. Le couple médecin de la maison châtaigne n’avait pas d’enfant. Ce qui me donnait mille questions et beaucoup de compassion, et sans doute me suis-je parfois confiée quelque mission humanitaire, bénévole et secrète, de m’aller fourrer entre les jambes d’elle, et lui donner un peu l’idée, de voilà ce que c’est en gros d’être mère. Parce qu’ils étaient médecins, je pensais fort à mon corps, et parce qu’ils n’avaient pas d’enfants mais que j’avais moi beaucoup d’imagination ou d’en tous cas de préjugés, je pensais beaucoup à leurs corps, à ce qui, dans leurs corps, ferait que. Ce n’était pas comme avec cet autre ami des parents, aveugle, et sur qui alors ça se voyait bien, et je pouvais, pas quand même à lui mais à papa maman, poser mes questions dans la voiture à l’arrière et au retour, depuis quand et ce que ça fait, si vous pensez qu’il est triste, si vous croyez qu’il prie pour voir bien. La petite fille qu’alors j’étais n’avait pas idée de la narrateur qu’elle deviendrait, et que j’ai l’âge que j’ai sinon rien, pas d’enfant. Ni d’ailleurs de maison secondaire, mais la possibilité apparemment d’éventuellement une planète de campagne. Le couple médecin sans enfant avait un chat de gouttière, mais si bien nourri qu’on eut dit un persan chatoyant et fier. Quand j’en voulais trop à maman, de ne pas m’aimer assez, je me figurais moi aussi, fille de gouttière, à vivre dans la petite campagne au-dessus de la grande ville du sud, voler au village quelques fruits et l’eau à la fontaine, et dormir dans la forêt la nuit, chanter des chansons. Peut-être à défaut de biche ou trèfle, trouverais-je au pied d’un sapin, un extraterrestre de justement mon âge, à qui j’aurais appris le langage terrestre et lui m’aurait enseigné le sien, en faisant bouger mes doigts et ses antennes, et l’ombre de mes doigts et celle de ses antennes, se seraient mélangées à celle triangulaire des hauts pins, avec dedans plus ou moins de mouvement selon le beau vent sans du tout d’ombre tout transparent. Je m’empêchais de dormir au retour dans la voiture, cachée sous un pull pour ne pas qu’on me soupçonnât d’être fatiguée et qu’on puisse continuer à louanger mon infatigable énergie, on la couche pas, elle épuiserait un feu, dors va marmotte dors. Les gorges du cians tournaient rouge. Maman qui conduisait bien en ville ne prenait jamais le volant ici, peu confiante dans les virages en aiguillettes alors je retenais ma respiration, d’encore survivre dieu s’il te plaît, qu’au moins papa maman survivent, si pas moi, et j’imaginais longtemps mon enterrement, entre temps on était déjà arrivés le long de la promenade qui parallèlait la mer sans le mou de l’eau, sans le bleu, et qui lignait ses palmiers comme une vieille conjugaison d’auxiliaire. Au-dessus, dans le ciel, des planètes étaient déjà habitables, qu’on n’avait pas encore aperçues, comme les biches sont toujours dans la forêt, même qu’on les voie pas. Au-dessus, dans le ciel, habitable ne voulait déjà rien dire, qui ne parle que des biches terrestres et pas réellement de l’astre nouveau.

A propos de Milène

Milène Tournier est une auteure de théâtre, poésie et formes numériques. ( L’autre jour, ed. Lurlure; Poèmes d’époque, préfacé par François Bon, ed. Polder; Nuits, ed. La p’tite Hélène; Et puis le roulis, Ed. Théâtrales). Elle a écrit une thèse d’études théâtrales « Figures de l’impudeur ». Elle partage ses vidéos poèmes sur Youtube et écrit « en direct » sur Facebook.