#chantiers | programme d’écriture

Codicille : le bienfait de cette proposition est que j’ai remis le nez dans des rêves notés depuis longtemps et oubliés. J’en ai choisi un, ancien, mais dont le contenu tombe pile dans mes préoccupations actuelles. Le voici, tel que noté le 22/02/1994, un mardi matin à 9 h 10

Dans une cabine téléphonique sans téléphone, je dois écrire que le linge doit être lavé à cru. La femme qui doit laver le linge – grande et costaude – cherche de quoi écrire. Je lui donne un vieux bic sans bouchon – un bic ordinaire en plastique transparent. Pour voir s’il marche, je l’essaye sur le fond d’un tiroir vide. Après, je rêve que je dois écrire le rêve.

J’ai extrait 4 membres de phrases qui me semblaient significatifs : je dois écrire que le linge doit être lavé à cru – un bic ordinaire en plastique transparent – un tiroir vide – je dois écrire le rêve. Puis sur chaque mot ou syntagme, je me suis livrée à une accumulation. Du texte obtenu par premier jet des accumulations, j’ai tiré les éléments du texte final Programme d’écriture :

Frotter le texte l’humecter le plonger le baptiser le purifier le malaxer dans la mousse comme le linge de corps linge de dessous dessous chics linge intime parties intimes touchées par le linge tricot de corps du texte lavé replongé pressé baratté plié et déplié le texte rincé le retremper re-malaxer re-presser replier re-déplier le tordre et l’essorer le linge fin linge sale linge brodé linge marqué mouchoirs de baptiste mouchoirs à carreaux mouchoirs en boule mouchoirs à pleurer mouchoirs où se moucher à ne pas contempler mais qui doit être lavé et moi écrire tisser je dois une texture serrée un texte raturé biffé annoté texte à déchirer texte à jeter à brûler ou à imprimer texte à écrire à cru d’une façon crue peu décente trop libre trop crue sur la peau nue bottée à cru montée à cru portée à cru sur le sol même et non sur les fondements conventions idées toutes faites donc s’en défaire s’en dépouiller alors que la bille s’habille, elle, pour sortir du bic s’esbaudir sur la page quadrillée ou pas d’ailleurs mais moi je préfère sans les lignes de manière à pouvoir écrire dans tous les sens par l’intermédiaire de la bille roule-ta-bille lance-ta-bille la bille du bic transparent dont on voit l’intérieur ce fin tuyau à ressort comme en moi quand on appuie au bout c’est le choc l’étincelle bien viser tiens encore la cruauté le mot-flèche la page-cible et vas-y bande ton arc on se roule on se cache on fait l’amour dans les métaphores plus grandes que nous et que le doux vent de la pensée – oh la la – balance et fait osciller et l’arc c’est le rythme tension détente spasme corde sensible baguette souple qui plie et ne rompt pas corde si sensible bien tendue puis relâchée spasme de l’arc-en-ciel arctique artiste arcane l’arc est l’arcane du désir le mot est lâché désir d’écrire désir barbare cruel désir de mort toujours recommencée transparence du bic nécessaire transparence pour voir à travers le mourir à l’immédiat d’écrire l’ordinaire en plastique ni plume d’oie ni stylo Mont Blanc ni feutre élégant ni crayon à papier à dessiner ni porte-mine en métal ni bic à quatre couleurs qui ne marche jamais non bic ordinaire rien d’extraordinaire même pas joli rien de personnel dans ce bic c’est le bic de tout le monde le bic en série un bic noir ordinaire interchangeable sans grâce sans valeur un bic qu’on jettera après usage pour le remplacer par un autre bic on en trouve partout des bics comme ça à Monoprix au tabac des bics ordinaires voilà 2 € 50 ou 3 € 20 quelle importance un bic de rien pas spécialement agréable à la main laborieux humble conscient de sa basse extraction de son bas niveau et l’inspiration la divine la si désirée l’onctueuse la prêtresse qui nous console nous fait exister nous actionne nous emplit de sève l’inspiration se trouve au fond d’un tiroir vide c’est pour ça que j’aime tant déménager les tiroirs sont vides pour transporter se transporter se translater au-delà du sens on scotche le tiroir pour pas qu’il tombe du meuble auquel il appartient et qui le tient mais une fois arrivés on dé-scotche le tiroir on le tire on l’ouvre en le tirant vers soi il s’offre à moi il se découvre il bée il est vide il est prêt à tout pour mon service j’y mets ce qui me chante des chaussettes des culottes des… Non ce tiroir doit rester vide il faut un espace vide entièrement vide vertige noir visité soudain par la lumière quand il est tiré en arrière découvrant son intérieur son intérieur tapissé d’une cretonne à fleurs ? Non non du bois brut du cerisier odorant peut-être mais certainement pas du métal non vraiment du bois du bois qui a été arbre et qui maintenant est devenu tiroir tiroir vide tiroir des chimères tiroir imaginaire tiroir béant tiroir ouvert vide vide et il y a deux actions successives : d’abord laver le linge puis écrire le rêve dans lequel on lave le linge cependant ces deux actions ne sont pas successives mais instantanées : c’est pourquoi faut écrire vite c’est ce qu’ils disent hein – Breton, Duras – pour tromper la résistance toujours embusquée à tendre des filets des pièges à embourber emberlificoter embrouiller empatouiller enliser embrigader emmurer débander décourager aquoiboniser agoniser bloquer l’élan de l’écriture jaillie qu’on était loin de soupçonner dont on pourrait s’étonner mais pas le temps de l’étonnement encore un piège là pas ralentir pas relire pas regarder derrière (Orphée) avancer pied léger doigts légers tambour du temps tant pis tant va tempêtes écrire le rêve tout cru tout cruel écrire en cruauté le rêve croustillant écrire le rêve le capturer l’épingler le mettre sur papier oh ses belles couleurs pas regarder encore juste avancer sans se demander écrire le rêve c’est tout c’est pas compliqué au fond d’un tiroir vide c’est à la portée avec un bic ordinaire pas cher transparent au fond d’un tiroir vide suffit de déménager puis dé-scotcher puis ouvrir après que le linge a été lavé à cru qui l’eût cru dit à cru vite sans hésiter sans chercher ses mots écrits à cru tout crus craque les crocs du dire craque croupe croquer sans rature cruauté créature ta vie est une obligation à laquelle tu ne peux pas échapper c’est un commandement de qui ça ? de moi c’est à dire un autre qui exige cela je dois tu dois il ou elle doit les doigts rebondissant sur les touches les doigts giclent les mots sur l’écran pas moyen d’échapper à cette demande qui donne aussi doit donner le la doit donner s’en donner s’en donner pas ronfler pas s’affaler caresser les touches avec légèreté comme tambour d’eau tambour de ripailles tambour sans jugement tambour de brousse tambour qui brasse l’intérieur en mots venus on ne sait d’où petites bulles de fermentations effluves structurées en mots culs par-dessus têtes mots sorciers danse agitée sauter piétiner pas de scrupule ah oui la cruauté revient toujours accouplée cœur cru palpitant voyez Duras je dois écrire de même que la pluie doit tomber quand elle est trop lourde pour les nuages je dois écrire parce que. J’aime. ça.

Ci-dessous les accumulations premier jet sans retouches, les redites maladresses et choses n’ayant rien à voir considérées comme composant aussi la dynamique du matériau brut dont est tiré le texte final, même si elles n’y figureront pas.

Je dois écrire que le linge doit être lavé à cru

à cru (Littré) : d’une façon crue : un mot dit à cru. Peu décent trop libre : des dicours trop crus. Sur la peau nue : être botté à cru. Monter à cru : monter un cheval sans selle ni couverture. Une construction porte à cru quand elle repose sur le sol même, et non sur les fondements.

2 occurrences du verbe devoir : obligée impossible de faire autrement que.

Être lavé

être humecté plongé dans l’eau purifié baptisé frotté malaxé dans la mousse du savon replongé pressé baratté plié et déplié changé d’eau coulée être rincé retrempé re-malaxé re-pressé replié re-déplié tordu essoré extirpée la saleté le sale transformé en propre le gris en blanc le terne en brillant métamorphosé débarrassé de sa crasse essoré au maximum les draps essorés à deux chacun tournant en sens contraire de l’autre jusqu’aux dernières gouttes exsudées être secoué claqué étendu sur la corde ou sur des buissons être laissé à sécher caressé par la brise blanchi par le soleil.

Linge

linge de corps linge de dessous beau linge les dessous chics piles de linge janvier le mois du blanc linge de table blanc comme un linge linceul dernier linge linge seul lingerie odeur du linge fraîchement lavé repassé langes lingère cuirassé louvoyer prière limbes tracasser trouver descendre lingerie fine louvoyer longer linge étendu corde à linge singer linge sale linge brodé marqué linge en dentelle linge en lin armorié linge sur la peau sur le front enfin je ne fais de mal à personne en écrivant linge intime parties intimes touchées par le linge lavandière portière linge en brouette en charrettes on juge un homme à son linge manchettes col gilet de corps caleçon culotte soutien gorge combinaison des kilos de linges placer le linge dans le tambour épingle à linge draps parfumés à la lavande draps blanchis drap sentant bon le soleil draps étendus sur l’herbe de la prairie drats de lit nappes damassées nappes fleuries serviettes assorties mouchoirs mouchoirs de baptiste mouchoir à carreau mouchoir en boule ne pas contempler son mouchoir après s’être mouché mouchoir bien repassé piles de mouchoirs pas en papier en coton mouchoir de soi laisser tomber son mouchoir jeter le mouchoir moucheté crocodile être féroce pas hésiter cruauté croquer (voir à cru)être cruel être cru crudité cruche craquer cramoisi linge fin draps à jours linge de tous les jours un jambon roulé dan un linge un bouquet de menthe dans un linge humide mettre du linge en charpie envelopper le bras d’un linge linge ensanglanté virginité linge blanc linge rouge et blanc linge et couleurs durée du programme deux heures température soixante degrés seule la mort nous fait vrais ou seule la peur la vraie la grand peur la peur de la mort linge de raison linge à pâmoison linge de l’autre monde uniforme des fantômes

dois doit 

deux fois le devoir je dois écrire le linge doit être lavé c’est une obligation à laquelle je ne peux pas échapper ma vie en dépend ma vie du dedans ma vie c’est un commandement de qui de moi personne d’autre ne me demande ça c’est moi au profond c’est à dire un autre qui exige cela c’est l’inconnu en moi celui que je ne vois pas sur la route intérieure toujours après le prochain tournant qui m’appelle je dois tu dois il doit mes doigts rebondissant sur les touches du clavier mes doigts giclant les mots sur l’écran qui m’oblige personne d’autre que moi et pourtant un autre en moi dans la soie de profondeur abîmes demandent explorer demande instamment pas moyen d’échapper demande mais donne aussi doit donner doit donner le la doit donner s’en donner à cœur joie pas ronfler pas s’affaler caresser les touches avec légèreté comme tambour d’eau tambour de représailles de ripailles tambour sans jugement tambour de brousse tambour qui brasse l’intérieur en mots venus on ne sait d’où petites bulles de fermentations effluves structurées en mot forme et fond sens sans dessus dessous mots sorciers la danse agitée sauter piétiner pas de scrupule cruauté (à cru) la cruauté revient toujours la cruauté accouplée associée à chaque éléments éléments donc basique essentiel cœur cru palpitant voyez Duras bon exemple sans pitié sans rémission sans partage l’amour et pourtant toujours menacé renoncé trahi sectionné mis à l’équerre mis à l’échelle mis à pris mis aux enchères aux enchères du sentiment du cœur battant puis comme on coupe un ruban combien en voulez-vous les grands ciseaux cisant le coup des grands ciseaux en biais minimum un mètre ruban satin velours ganse tresse soie à pois à pois noirs ruban de moire ruban au chapeau ruban au cordeau ruban ponceau ruban cadeau cœur ficelé cœur qui meurt d’étouffement les doux liens de l’amour lame de fond lamé limaille lame d’aimer l’ami lime lune tulle gansé de satin robe de première communion robe de mariée devoir conjugal non jamais devoir de voir oui tout le temps devoir de pleuvoir je dois écrire de même que la pluie doit tomber quand elle est trop lourde pour les nuages je dois écrire parce que. J’aime. ça.

un bic ordinaire en plastique transparent.

Transparence nécessaire transparence pour voir à travers voir ce qu’on fait voir à l’intérieur du bic ce fin tuyau à ressort ce fin tuyau à ressort en moi quand on appuie au bout du bic la bille sort l’encre s’habille pour sortir pour s’esbaudir sur la page quadrillée ou non je préfère sans les lignes de manière à pouvoir écrire dans tous les sens par l’intermédiaire de la bille roule-ta-bille lance ta bille contre le gros calot bleu pour le gagner lance vise bien c’est le choc qui fait l’étincelle sans pitié bien viser encore la cruauté le mot-flèche la page-cible et vas-y bande ton arc de quoi l’arc est-il la métaphore puisqu’on y est dans les métaphores jusqu’au cou et même plus haut on est enfoui dans les métaphores on se roule on se cache on fait l’amour dans les métaphores plus grandes que nous et que le doux vent de la pensée – oh la la – balance et fait osciller et sous nos pieds sous nos corps ils sont brisés mais l’arc ? De quoi métaphore, l’arc voyons voir : l’arc serait le rythme tension détente de l’arc spasme de l’arc la corde sensible la baguette est souple elle se courbe et ne rompt pas la corde si sensible bien tendue puis relâchée spasme de l’arc arc en ciel arctique artiste arcane l’arc est l’arcane du désir le mot est lâché désir d’écrire désir barbare cruel désir de mort toujours commencer par mourir pour écrire à chaque instant mourir à l’immédiat d’écrire ordinaire en plastique écrire l’ordinaire sans améliorer l’ordinaire « faire le maximum avec le minimum » ni plume d’oie ni stylo mont blanc ni feutre élégant ni crayon à papier à dessiner ni porte-mine en métal ni bic à quatre couleurs qui ne marche jamais non bic ordinaire rien d’extraordinaire même pas joli rien de personnel dans ce bic c’est le bic de tout le monde le bic en série un bic noir ordinaire interchangeable sans grâce sans valeur un bic qu’on jettera après usage pour le remplacer par un autre bic on en trouve partout des bics comme ça à Monoprix au tabac des bic ordinaires voilà 2 € 50 ou 3 € 20 quelle importance un bic de rien un bic en plastique pas spécialement agréable à la main laborieux humble conscient de sa basse extraction de son bas niveau comme lui exactement les mêmes ils sont des millions fabriqués à la chaîne un bic ordinaire aucune ambition autre que écrire des mots jeté à la poubelle sans état d’âme sans même une pensée pour le remercier déjà remplacé en plastique matière vile qu’on trouve partout qu’on trouvera partout dans les siècles des siècles imputrescible l’âge de plastique ainsi nommeront-ils notre maintenant en supposant qu’il y ait un futur

un tiroir vide

l’inspiration la divine la si désirée l’onctueuse la prêtresse qui nous console nous fait exister nous actionne nous remplit de sève l’inspiration se trouve au fond d’un tiroir vide c’est pour ça que j’aime tant déménager les tiroirs sont vides pour pouvoir transporter se transporter se translater au-delà du sens on scotche le tiroir pour pas qu’il tombe pas qu’il sorte du meuble auquel il appartient du meuble son maître qui le tient mais une fois transporté on dé-scotche le tiroir on le tire le tiroir on l’ouvre en le tirant vers soi il s’offre à moi il se découvre il bée il est vide il est prêt à tout pour mon service j’y mets ce qui me chante des chaussettes des culottes des… Non ce tiroir doit rester vide il faut un espace vide sans lequel rien ne se peut entièrement vide le tiroir vertige du noir visité soudain par la lumière quand il est tiré en arrière le tiroir découvrant son intérieur tapissé d’une cretonne à fleurs ? Non non du bois brut du cerisier odorant peut-être certainement pas du métal non du bois du bois qui a été arbre et qui maintenant est devenu tiroir tiroir vide tiroir des chimères tiroirs imaginaire tiroir béant tiroir ouvert vide vide

je dois écrire le rêve

il y a donc deux actions successives : d’abord laver le linge puis écrire le rêve dans lequel on lave le linge cependant ces deux actions ne sont pas successives mais instantanées : deux pour le prix d’un purifier la matière et écrire cette purification ne font qu’un ni une ni deux on y va vite faut écrire vite c’est ce qu’ils disent – Breton, Duras – pour tromper la résistance toujours embusquée à tendre des filets des pièges à embourber emberlificoter embrouiller empatouiller enliser embrigader emmurer débander l’arc décourager aquoiboniser agoniser bloquer l’élan de l’écriture jaillie de profondeurs qu’on était loin de soupçonner dont on pourrait s’étonner mais pas le temps de l’étonnement encore un piège pas ralentir pas relire pas regarder derrière (Orphée) avancer pied léger doigts légers tambour du temps tant pis tant va la cruche tempêtes acceptées écrire le rêve tout cru tout cruel écrire en cruauté le rêve croustillant écrire le rêve le capturer l’épingler le mettre sur papier oh ses belles couleurs pas regarder pas encore juste avancer sans se demander écrire le rêve c’est tout c’est pas compliqué au fond d’un tiroir vide c’est à la portée avec un bis ordinaire pas cher transparent au fond d’un tiroir vide suffit de déménager puis dé-scotcher puis ouvrir après que le linge a été lavé à cru qui l’eût cru Lustucru monté à cru porté à cru dit à cru cruellement vite sans hésiter sans chercher ses mots dits à cru tout crus craque les crocs du dire craque croupe croquer sans rature cruauté créature.

A propos de bizaz

chanteuse de chansons - voyageuse sans itinéraire prévu.