Reflets aveugles

Lumière éclatante dans ce matin d’été. Une phrase de Lou Reed :«  L’avenir est tellement éclatant que je mets mes lunettes noires » dérision matinale, just rock and roll.  Le bureau tourne le dos à la fenêtre/presqu’une baie/, ne pas voir le Garlaban au loin embrumé de nuit, ne pas entendre les cris d’enfants qui se réveillent dans les maisons qui jouxtent l’immeuble, concentration sur le mur blanc orné de dessins et d’aquarelles/ma préférée, un homme au regard trouble au regard double, noir et mauve/ d’une vieille affiche/le Star tour cabaret/ les vitres un peu sales/il faudrait les laver/ renvoient les reflets de vie, miroirs menteurs, un mélange fou d’ailleurs, d’avant, de présent, se raccrocher aux souvenirs, en préparer d’autres. Un bar sans nom seulement pour dire bonsoir, les mots s’écrasent comme des figues mûres sur les vitres sales, une conversation banale. Nous aurons des matins d’ours gris. Une chanson de Mina « Pasion » fait vibrer légèrement les carreaux, une escale à Lisbonne, le silence du temps passé, des palmiers endormis sous des brumes, l’enfance encore au garde à nous. Il ne peut être dit deux fois la même chose, entre-temps, une ride , un silence est passé.

Un lit rouge dans une chambre blanche, entièrement , sans traces sans rien, un homme jeune passe très vite, pose un oreiller, referme la porte. Il laisse là la nuit.

Lumière grise, matin d’hiver pluvieux, ça frappe contre la fenêtre, des gouttes furieuses, goulues, il y a du danger à être sans lumière, une nostalgie mélancolique le long des canaux qui s’échinent à divaguer sur les terres plates, les fleurs d’hiver ont des airs de pleine lune fixée par un œil cocaïnomane sous acide pervers. En fait on n’est jamais assez précis. La trace du dedans, surgit comme ça, sans qu’on s’y attende, avec brusquerie, elle manque de diplomatie, elle se reflète sur ce mince panneau de verre fragile et raconte l’autre histoire, celle qui ne veut pas sortir, celle qui se planque la nuit, ce pourrait être le mur du rien, l’illusion du protégé, un coup de marteau, un jet de pierre, un courant d’air, et tout vole en éclat. Regarder les éclats, appeler un vitrier, et se remettre en contemplation. Dédoublement du sens : Qui est ce vieux dans la glace qui me parle ? Qui est ce vieux dans la parole qui me glace ?

L’acteur est en nous sur des scènes mouvantes et se cache bien. L’horreur est en nous sur des scènes mouvantes et se montre bien.

Lumière noire, aucun reflet , à tâtons dans la pièce, éteindre l’ordinateur, la chaine, le ventilateur, l’œil vide du dedans dehors , glace sans tain, observer sans être vu, l’œil du Mordore, encore une histoire de surveillance et d’attirance/d’aimant/  de voyage initiatique jusqu’au bout de soi-même/un souffle de soupirail/ cauchemar récurrent, le voleur de songes aux couleurs rouillées, goûter le gris de la nuit sur la fracture d’amour, compter les gouttes d’embruns qui s’écrasent sur les années de fièvre, les lécher avidement, sans relâche. Fermer la fenêtre.

Les mots aveugles titubent, se cognent se mordent, s’écorchent. Ils s’aiment sans se comprendre.

A propos de Guy Torrens

Guy Torrens est né en 1952 à Alger. Après des études de philosophie, il se tourne vers le métier d’éducateur auprès de jeunes délinquants. Il anime des ateliers d‘écriture créative à Marseille où il réside. L’écriture et la scène : Chanteur parolier de trois groupes de rock punk ( Fin de série, Dirty Bitch, L.V.3.S) de 1985 à 1995. Tournées principalement en Allemagne, Pologne, République Tchèque, Belgique. Das Klub. Scène vide. La nuit a digéré les derniers spectateurs. Claquements répétitifs d’un soupirail mal fermé. Rythmique minimaliste. « Port de l’angoisse, je bois tes mots, pas tes lèvres. » Les derniers mots flottent encore. Martèlement des pieds, jets de bière, éjaculations spectaculaires. L’écriture et la nécessité : Après la mort de son compagnon qui a partagé sa vie pendant 25 ans, il se consacre entièrement à l’écriture. Poèmes, romans, nouvelles, pièces de théâtre. C’est le bruit du moteur. La mort ne fait pas de bruit. Une fuite sidérée. Celle des rêves. Sombre était le jour, sombre était la nuit. On vivait dans cette opacité, propre à rendre fou, n’importe quel homme normalement constitué ; Le message arriva le matin du 2 janvier. Un cri d’année nouvelle. Anonyme. « La vie n’est qu’un sillon, celui qu’on ne peut tracer, les nuits d’errances sont des meurtres. »