seize octobre deux mille dix-neuf

seize octobre deux mille dix-neuf

je ne suis pas né, je nais,

de ce matin atone et blanc de cette brume qui lentement se lève sur un jour sans lendemain, d’un cri étouffé, d’une ouate épaisse et douce, d’un embu pâle et gras comme un empâtement sur une toile de lin ;

de ce regard qui hésite et se perd dans les profondeurs laiteuses de l’aube, un regard qui cherche et fouille les entrailles de ce matin blême, tout éperdu ;

de cette lune d’opale, grosse et ronde, timide sous cette fine peau de ciel;

il regarde, il regarde ce matin vierge, se saisit d’un pinceau ; sa hampe est longue et sa touffe fine, il mêle des gouttes de buée aux cendres de sa nuit et de cette encre sombre il s’imprègne; lentement l’encre s’immisce en lui et coule dans son corps comme un fluide qui l’irrigue et l’éveille

d’un geste sûr il trace un simple signe, sur ce matin-là, et de ce signe il naît ;

il naît d’un  signe et d’un seul ; d’un cri nu qu’il expulse d’un souffle; il respire ; sa silhouette s’étire se lève se déplie et le monde s’éveille avec lui, l’horizon s’ourle de nacre, il naît de ce matin-là, de ses couleurs qui s’animent et qu’il boit pour étancher sa soif, de ses sons qu’il attrape et qu’il tisse, il naît d’un signe et d’un seul ; un simple signe sur la pâleur d’une aube

il respire écrit et s’étonne, il écrit avec son pinceau imprégné de l’encre qui l’irrigue, une encre de vie, il décrit, il dit, il vit ; c’est une langue simple qui se délie en longs fils graciles qui disent l‘histoire de ce matin où il naît, il n’est plus que signes sur une feuille blanche, signes qui dansent se tissent se taisent ; silence ; il attend, regarde la course du soleil, les nuages fous qui rient de sa sagesse, la pluie qui le lave, les fruits qu’il cueille et croque, il a déjà cent ans, mille ans, il court encore, il a soif de courir, d’aimer, il voudrait rire et pleurer et rire encore, il écrit qu’il rit et qu’il pleure, il écrit encore, encore

il le sait bien que ce jour est sans lendemain, alors il en jouit jusqu’à la nuit

chaque matin il nait

A propos de Jean-Yves Robichon

Dans ma démarche, arts plastiques, photographie argentique et écriture interagissent, se conjuguent, se répondent dans une pratique continue, discrète et sensible. Ecrire comme des prises de vue, pour révéler, fixer, développer, jouer les passages négatif / positif, noir / blanc, ombre / lumière. Et surtout, pour raconter des histoires….

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