autobiographies #06 | où personne ne marche

entendre venir l’auto, grossir, dans mon dos et fondre, fondre sur moi, la route bruire, l’air, d’abord, bruire, grossir la route, gonfler, le bruit envahir, prendre, saisir le fond, le fond avancer, le fond pousser, saillir, se manifester, bientôt crier, venir, le fond se détacher du fond duquel, d’abord, je me détache, la nuit percée par les phares me trahir voir, les phares me lécher, le dos tourné, me pelucher, pelliculer de lumière, voir le halo me faire une peau, me dessiner, silhouette, souligner mes contours, blondir dans les poils sur mes bras, la puissance, projection, la précision des phares dessiner mes poils se dresser, fouiller, blanchir mes cheveux devant moi, me passer entre les jambes et sur la chaussée voir mon ombre poindre, grandir, s’allonger devant, tapisser, se tapir, la bande blanche s’illuminer, la route rasée et l’imminence

au moment de rentrer, se retourner, d’abord un pas : en arrière, un autre, d’abord, dans l’ouverture de la porte, dans le prolongement de l’encadrement du battant de la porte du garage ouvert, d’abord rebrousser le seuil, dans la lumière, laisser, devant, l’éclairage de l’ampoule nue du garage, un pas, délaisser le revêtement anti-dérapant du trottoir, s’en détacher, le pied dans le caniveau central, longitudinal, d’un pas éviter la grille branlante de la bouche de collecte des eaux, le long de la rue, à reculons, sortir du cercle du réverbère au coin pour quitter les lumières de la ville, abandonner d’abord le périmètre d’éclairement du dernier lampadaire de l’axe structurant, au dessus du stop, quand la rue devient la route, passer le stop tourné vers l’ombre, la nuit, panneau décoloré passé le panneau d’entrée de la commune, dans l’agglomération, sans la quitter des yeux, jamais la quitter, la voir

entrer dans la nuit et c’est chaud à reculons m’enfoncer jusqu’à me fondre dans la nuit qui entoure, toute proche d’abord, ne pas m’arrêter là : la bande de marquage au sol du stop, en travers de la route, continuer par delà l’éclairement, en deçà, régresser, dépasser l’éclairage public, le dernier faisceau, le dernier panneau passée la limite qui n’en est pas sinon un brouillage, un trouble, un gommage, je cherche : un fondu comme prendre un couloir roulant à l’envers non : à reculons je l’ai dit, au ralenti qui plus est : pas à pas, je veux dire : un pas après un pas, qui ne peut s’appeler pas : pas en arrière, ou enjambée et le corps, tout mon corps, bras en l’air pendu à chacune, nouvelle, neuve pénétrant la nuit, se l’incorporant, la devenant, devenir lui tournant mon dos la nuit qui avance, qui s’arrête maintenant 50 m devant moi, indécise, non : impuissante, à pleurer, à s’aplatir au seuil de l’agglo, venue là mourir comme la mer vient, lécher l’éclairage des leds, les pieds des candélabres se résoudre à ne plus être, ne plus être elle

la voir parmi les autres, ses pareilles, la maison, copie conforme apparaître, la porte de son garage ouverte, absorbée là, là-bas, se tasser, mesurée, s’insérer dans son lotissement, reprendre sa place la laisser, reposer, dégonfler, s’amenuiser, réduire dans les lumières, mon adresse prise dans le réseau des rues, deux trois rues là sous mes yeux, dans ma vue sous la résille des luminaires et depuis l’espace public ou de dégonflement, dépressionnaire la lâcher, la pression par la soupape de la route se perdant dans la nuit et depuis la nuit et comme émerveillée par les halos nocturnes, filaments, aberrations optiques la voir encore, d’abord la voir apparaître entière, entière et rangée, et jusqu’à n’être pas plus épaisse, consistante qu’une flamme, ne plus cesser de la voir, par transparence, ne presque plus brûler, ne même plus chauffer, refroidir sans alors s’éteindre, figer, jusqu’à givrer, jusqu’à toucher le fond, où la nuit est à l’exacte température de mon corps, le dos contre le fond depuis le point exact, le point juste au milieu de la route d’où je cesserai de la voir, sur la bande blanche, médiane ici continue, juste avant

et l’imminence du choc étirée, le choc absorbé par la profusion des mots, mots qui viennent, premiers venus, amorti dilaté dans le détail, la précision, la confusion qu’il y a à l’attendre, sans l’entendre d’abord, venir, au milieu pile de la route quand elle n’est plus rue, quand elle est nue, nuit où m’attendre à le sentir, le pressentir sans un mot, un mot de plus que : le silence, que : nuit, noire, le noir : un nom : la vue, s’en mettre dans la vue, plein, la boire, s’en pénétrer, la nuit est cela, cent mètres, guère plus, à reculons et c’est elle à boire la ville, l’aspire, l’absorbe, l’éponge, mots qui comblent l’attente sans mettre un nom sur le choc à venir, à reculer il n’est plus d’heures, il n’a jamais été l’heure d’être là me tenir, touché le fond, à la portée des premiers mots venus comme : le recul continu de la nuit, comme : tout un pan détaché de la nuit mais pas un mot sur le choc qui m’attend dans deux minutes, dans une heure, dans la nuit, d’abord ne rien entendre

à reculons jusqu’à la bande blanche du stop et au delà, la voir tapis se glisser sous mes pas, entrer d’abord dans mon champ de vision et avancer, la vue s’élargissant la bande lui être un support, et soulignage à reculons toujours, brusquement se réduisant, la prolongeant, la ligne continue, mince, longitudinale une voie lactée renversée alors la suivre, ligne de vie sans quitter des yeux la façade de la maison et le coin de ma rue, les murs des pierres apparentes, les pignons couleur vanille, tout le côté dessert glacé de la chose, maquette, givré, voir sur un toit un traîneau, dans une auto un chat, pendu à un pignon un cambrioleur, flagrant délit, monte-en-l’air attrapé et puni, exposé peint en rouge, les façades éclairées toutes piloris, volets fermés, stores baissés, personne, moi, pour me voir ni, déjà, te présentant dans l’encadrement de la porte du garage comme sortant d’une pendule de la Forêt Noire, me chercher

et l’imminence étirée tendue comme un fil et le fil se remonte, une bande peinte, blanche, dernière ligne droite sous la pollution nocturne ce fil, conducteur, un mécanisme se remonte, d’horlogerie les mots entre eux, le texte ici remonté : ici, jusqu’à casser, lâcher ou bien, minutée, retardatrice, et déclencheuse, astronomique, détoner, charge et décharge, primaire et principale, explosive, d’amorçage d’abord, ou amortissement, la mécanique provoquer la collision, mais l’adoucir, la nuancer, mais la causer, l’anticiper sans la parer, faire rien pour l’éviter, tout, déformation instantanée, transformation de l’énergie cinétique, collision parfaitement inélastique, pour l’absorber : pénétrer dans l’auto qui vient, avec et par les mots entrer, s’insinuer, se présenter, la faire, l’auto, déborder de mots, décélération, amortissement monstres provoqués par l’afflux et la concentration en un seul point des mots se précipitant tous au milieu de la route et au milieu d’eux le mot apparition : apparaître

la voir : la regarder, même : la fixer, de peur qu’elle ne bouge encore, perde encore toute mesure, en reculant encore non pas quitter la maison : prendre du recul, mes distances, le temps de rentrer ou mon élan, à 22 h, il est minuit, quand il est une heure : une heure de la nuit sur la pointe des pieds comment faire autrement en marche arrière, m’imaginer travelling, qui n’est plus marcher, n’est pas cesser de se tenir là, moins aller à reculons que me tenir dans le recul, la position de ne plus avoir peur dans le noir ou la nuit à partir du moment où le noir ou la nuit c’est moi, chaque pas qui n’en est pas effaçant, écartant le précédent ne plus distinguer même, dans le noir que je suis, mon nez mais voir la maison, mais d’abord, au lieu de rentrer et claquer la porte, d’abord sortir les poubelles au lieu d’entrer en fracas, en éclats de voix, battages de volets et fenêtres et chaises, tables raclées contre les carrelages, d’abord le recyclage : la jaune, la faire rouler et résonner, comme elle sonne dans la rue, en emplir comme chaque lundi soir le volume, le silence, l’espace, le roulement sonner le creux, plastique, grondant, enfin le tout-venant, la toute grise : mastic, la poubelle à la serrure

2 commentaires à propos de “autobiographies #06 | où personne ne marche”