#photofictions #04 | Transport et portrait

Echange de politesses au moment de l’installation des vélos. Ce n’est pas toujours aussi agréable. Et déjà on en apprend un peu sur l’autre. Tiens, il descendra à Saverdun. Et moi à Foix, bien sûr. Et puis c’est l’installation dans l’un des carrés du train, comme on dit. Mais c’est vrai que c’est un quatre-coins et qu’au long des diagonales, on peut scruter l’autre voyageur. Moi, tout d’abord je m’absorbe dans ce que j’ai à écrire ce matin, il faut en profiter, le train était à l’heure, l’ordinateur s’est bien ouvert… Pourtant, une fois que la première plongée dans les mots du jour s’est faite, je remonte mon regard et je croise le sien, furtivement tourné vers moi. Il a ouvert un carnet, un beau carnet et il tient un feutre en main. J’en ai honte, d’être un écrivain à ordinateur, du coup. Et de honte, je replonge et en reprends pour une tire d’écriture. Quand je relève la tête, il tient carrément une boite d’aquarelle ouverte à laquelle il a dû fixer le carnet au moyen d’une grosse pince, si je me souviens bien. Ainsi, il lui reste une main libre pour tenir un pinceau, fin. Et il me regarde toujours, de temps en temps. Difficile de me remettre tout de suite à écrire. Je lui demande s’il est possible de voir. On dirait que c’est le signal pur qu’il s’arrête. Le portrait serait ainsi terminé quand le modèle demande à le voir…

On reconnaît bien ma tignasse avachie d’un rendez-vous pas encore pris chez le coiffeur. La barbe courte, c’est encore moi, moi depuis six ans maintenant où j’ai décidé qu’elle repousserait mais à condition d’être bridée par un passage fréquent de tondeuse. Le regard est tourné vers le bas, bien sûr, vers l’ordinateur non représenté et qui, du coup, m’offre la possibilité d’une écriture moi aussi sur un beau carnet, avec la chorégraphie des passages du crayon. L’assemblage des vêtements, c’est le moi de ce jour, la chemise bleu sombre dont j’ai eu envie parce qu’elle me met comme une nuit d’étoile sur la peau et le blouson beige de mon père, juste parce qu’il allait bien couvrir mes trajets à vélo par temps rafraîchi d’automne. L’ensemble me fait écrasé, de nuit pas finie peut-être. Avec du doux dans le visage, d’un jour prêt à bien commencer peut-être.