vers un écrire/film #01 | confidence

l’enfant Doria — fille de Mermel — a franchi les remparts, elle cherche des petites choses à enfiler pour faire des colliers, elle pense que sur le talus là-bas en marchant vers la forêt la neige sera moins épaisse et qu’elle y trouvera des graines enfouies, elle avance et soudain elle les voit, elle les reconnaît tout de suite même s’ils sont loin, Waralin le survivant et le jeune Riks, et comme elle a enfreint la règle imposée aux enfants de ne pas quitter seuls le camp elle se cache, les observe, observe la silhouette de Waralin installée dans le traîneau — d’habitude si tassée renfrognée, contrainte par l’infirmité – qui s’agite, danse des mains et des bras en même temps que le torse participe aux courants de l’air et que les épaules se tournent comme pour indiquer une direction, elle se dit que s’il bouge de cette façon désordonnée c’est qu’il est en train de parler et c’est forcément qu’il a quelque chose d’important à dire pour déployer les bras, les mettre en branle à ce point, elle le sait, elle le comprend, elle ne l’a jamais vu dans cet état ou alors en transe lorsqu’il racontait sa chute à flanc de glacier alors que tous étaient réunis dans la grande hutte en rondins de bouleau — elle n’a pas oublié le bleu cinglant presque surnaturel de ses yeux –, donc Waralin a quelque chose d’important à dire à Riks et ça concerne la survie et l’avenir des tribus, la possibilité d’un nouveau printemps avec la floraison des épineux, la prolifération des lapins et le retour des grands mammifères, elle imagine tout cela, le suce comme un petit fruit de prunelier, Riks plus jeune que Waralin est dressé de toute sa hauteur près du traîneau, il a l’air d’un géant mais ce qui frappe l’enfant Doria c’est le fait qu’il soit légèrement penché vers l’avant, et aussi son extrême immobilité, on dirait qu’il est entièrement concentré sur le visage de Waralin et qu’il se laisse uniquement toucher par l’air brassé par les mains – une sorte d’inversion des rôles dans ce moment de conversation, indice supplémentaire pour penser que les mots prononcés sont importants et de l’ordre de la confidence –, elle s’est rapprochée de la scène pour en être sûre, c’est alors que Riks prend les mains de Waralin dans les siennes, son visage paraît changé, un long moment ils se regardent comme partageant un même projet, un rêve de voyage, une pensée audacieuse et clandestine avec le temps qui s’accroche aux brumes et l’oiseau noir qui décrit des cercles au-dessus de leurs têtes et lance des cris scandant leur pacte, entre eux il se trame quelque chose, maintenant elle en est tout à fait sûre, ils échangent encore des mots en se tenant par le coude — des mots qu’elle n’entend pas — et tandis qu’ils lèvent d’un même mouvement leurs visages vers le ciel, l’enfant Doria quitte sa cachette et se met à courir comme une folle en direction des remparts     

Toujours ce désir d'adapter la proposition de la semaine à l'un de mes chantiers en cours... et je poursuis l'exploration du campement en Pays d'Hammersoy avec Waralin le survivant qui depuis son fauteuil d'infirme, voudrait bien sauver sa tribu... ma foi!! 
d'où cette scène dont je n'aurais sans doute pas eu l'idée s'il n'y avait eu cette piste de "dialogue sans dialogue"... merci à notre initiateur si précieux...

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

8 commentaires à propos de “vers un écrire/film #01 | confidence”

  1. … la course folle en direction des remparts en dit long sur l’excitation et la curiosité piquée au vif de Doria… et puis, ils dépaysent et contribuent à piquer la nôtre ces prénoms !

    • oui Chris, ça nous ramène vers d’autres propositions sur la toponymie ou sur l’importance des noms propres !
      des univers se dessinent rien qu’à prononcer quelques syllabes…
      à suivre tout cela
      et merci pour ton passage…

  2. Le dialogue se perçoit si bien dans la description, et les suppositions nous questionnent et laissent percevoir ce qui se passe ou pourrait se dérouler tout autour et qui n’est pas raconté – pas encore –

  3. une définition du roman me poursuit et elle dit qu’il faudrait tourner autour du noyau en fusion au centre des choses sans jamais le révéler
    ainsi attiser le regard, donner des éléments suffisamment pour construire le récit
    merci Fabienne de ton riche écho

  4. C’est exactement ce que je me disais, nous sommes déjà en plein roman et encore et toujours ta patte particulière (j’espère que cela s’écrit comme cela la « patte » de quelqu’un). Bonne journée.

    • merci pour ce petit signe de toi, chère Clarence, et pour ce merveilleux compliment, même si on met de côté toute envie de bien faire et d’être « reconnu »…
      avoir une « patte » ou une « pâte », c’est idéal… et même recommandé…