vers un écrire-film #06 ralenti, ter | la gifle

souvenir d’une main, installation, Marie Michel, 2021

Sa main levée, pas encore. Qui frémit. Même pas. Sa main qui ne frémit même pas, qui n’est pas encore levée. Le mouvement repose encore, hors-champ. Le geste encore dans les limbes. Le geste dort dans les lignes de la main inerte. Même pas. Le geste n’est même pas endormi. Le geste est ailleurs. Dans l’air. Une possibilité. Mais rien encore dans la main. Inerte. Molle. La peau innocente encore. Blanche. Vierge de tout signe. La peau dédouanée. Déridée. Lisse. Calme. Lac de peau où l’on pourrait plonger. La main à plat. Paume contre la cuisse. Pas le moment encore. Aucun présage dans ses lignes. Aucun augure dans son dessin. Sa pose. La paume est cachée. La main est à plat. Posée. La main insensible. Froide. Main de chambre froide. Main cadavérique. Main qui ne se demande rien. Qui n’attend rien. La main posée. La main qu’on oublie. Qui se fond dans la masse. Se fond dans le bras. Se fond dans le corps assis sur le siège. La main fondue. La main qui n’a pas encore de forme, qui n’a pas pris forme et force dans le regard. La main inconsidérée. La main gommée. La main fantôme. La main sans destination. Sans intention. La main par intermittence. Main blanche et noire. Zébrée. Main qui renvoie la lumière. Qui fait surface. Main qui laisse glisser les ombres, les bouts de monde défilant derrière la vitre. Main qui suit les saccades du bus. Secouée par son ressac. Qui oscille. Main hachurée. Hachée. Main coupée net. Remise en place. Main objet. Posée sur le haut de la cuisse. Fondue à la cuisse. Main dense et lourde. Marbrée. Main si calme dans ses veines dégonflées, ses nerfs au repos. Ses veines absentes. Ses nerfs sectionnés. Main déveinée. Dénervée. Au sang insoupçonnable. Peau d’huile. Peau sans frémissement encore, sans poil qui se hérisse. Peau détendue. Tambour sans tain. Peau sourde. Main gourde. Main qui n’a pas pris position. Qui se laisse aller. Algue dans l’aquarium. La peau factice. La peau artificielle. Peau de silicone, de latex. Gant qui cache la peau. Peau frauduleuse. Peau où goutte la pluie. Peau où apparaît sous les griffures grises le grain du temps. Peau biffée, striée, maculée de ratures, de traits de crayons, incisée de signes insignifiants. Peau où l’on écrit négligemment. Main qui sert de brouillon aux choses qui s’y racontent. Qui cache ses intentions profondes. Qui commence à peine à les soupçonner. Qui commence à peine à frémir. Qui commence presque à sentir le passage du sang. Peau qui se réveille de son engourdissement. Peau qui s’anime, s’ébroue. Qui va pour animer la main. Peau qui enrobe la main, qui forme la main. Peau qui se trouve une contenance. Peau d’une main qui se saisit d’elle-même. Main qui prend ses marques. Main encore tapie dans l’ombre. Main qui prend connaissance de ses nerfs, de son sang. Main qui se réchauffe. Qui s’émeut. La main qui prend appui. Sur la cuisse. La paume se détachant. La main qui décolle, se détache, suit une courbe. Entraîne les doigts. Le poignet, l’avant-bras, le coude. L’épaule. Le dos. Faisant s’ébrouer le corps tout entier. La main courbée, en l’air, se détachant sur la vitre du bus, s’élevant sous fond de paysage figé. Le bras, tout entier, la tête. Sa tête. Ses sourcils froncés. Ses yeux. Son œil. Pupille dilatée. Blanc des yeux vibrant de colère. Vibrant de rage. Bras levé qui vibre à l’unisson de l’œil. Bête qui ouvre la gueule. Le noir dans la gueule de la bête. Lueur au fond de la grotte de la gueule de la bête. Reflet des dents dans la gueule de la bête. La main qui s’approche du visage. La gueule ouverte. La main qui s’ouvre. Mâchoire. Les doigts. Les dents. Les doigts durs, rigides, les doigts qui se durcissent dans l’élan, la main qui se gaine. La main qui dégaine les doigts. La gueule béante, la main grande. Grande la main brute. La bête brute bondit. Brutalement. La bête ouvre la gueule. Les doigts s’ouvrent, s’approchent, se rapprochent du visage. La main bondit. Son visage à elle. L’empreinte de la pulpe de ses doigts, un part un s’enfonçant dans la joue. Feu rouge. Affiche. Section de joue. Section de doigts. Stop. Pluie sur la vitre. Sous la joue le sang. La main gifle. La gifle gicle. Montée vivace de vif argent vermillon. Piqûre. Pression des doigts qui s’enfoncent, qui laissent leur empreinte violette. L’empreinte de sa main sur sa joue.

2 commentaires à propos de “vers un écrire-film #06 ralenti, ter | la gifle”

  1. le recul est vertigineux, cet élan à rebours, puis le mouvement qui repart de l’avant, on est soulevé, comme dans cette attraction le bateau pirate, et entrelardé d’images, le ralenti permet l’insertion de ces images, est un effet de montage, la gifle retentit de tout ce qu’elle n’est pas, qu’elle convoque, porte avec elle, j’aime, non, j’adore

    • Comme c’est motivant ! Grand merci pour votre lecture ! Je suis ravie de vous avoir embarqué !