vers un écrire/film #04 | celle-ci ou celle-là

Elle mendiait, elle était celle- là, celle qui mendiait. La porte coulissait, elle sursautait, elle mendiait. Elle était celle-ci, celle qui regardait et qui mendiait. Elle ne dit pas je suis une mendiante, elle mendie. Elle croyait, elle disait, une p’tite pièce, elle était celle qui mendiait. Elle se figeait, celle qui devant la porte coulissante mendiait. Tout était avouable. Elle était celle-là et la porte coulissante s’ouvrait. Elle hoche la tête, elle mendie et regarde sa coupelle vide posée à ses pieds. Elle regarde les chariots qui débordent et elle mendie. Elle pensait que ça ne pouvait pas lui arriver à elle, un chariot rempli à ses côtés.
Vêtue d’un pantalon de laine dans lequel elle avait transpiré, elle mendiait. D´un large pull dans lequel elle avait aussi transpiré, elle mendiait. Chaussée de baskets noirs avec des chaussettes grises, elle mendie.

Celle-ci qui ne bouge pas, qui ne se lève pas, qui regarde et qui mendie. Elle ne compte pas les pièces puisque il n´y en a pas. Elle se frotte les mains et elle mendie. Immobile elle mendiait au rythme des portes coulissantes du Carrefour express qui s´ouvraient et se refermaient.

Qu´est-ce que vous faites dans la vie? Être cette personne qui mendie, c´est déjà quelque chose. Elle était celle-là. Elle était celle-ci, celle qui est quelque chose parce qu’elle ne pouvait pas être rien. Elle se souvenait qu’elle avait mendié ailleurs, mais elle ne savait plus où. Elle est celle qui mendie et elle continue à être celle-là.

Elle regarde ses pieds et elle mendie. Elle était celle-ci, celle qui mendie. Elle déplie son long corps usé, ses gestes sont saccadés. La porte coulisse et elle mendie. Trois pièces jaunes ont rejoint le rien de l´instant d´avant. Elle n´est rien, elle mendie. Femme- chiffon à qui l´on a jeté trois pièces jaunes.

Pourquoi es-tu partie de chez toi? dit-on à celle qui mendie, celle qui est celle-là. Elle mendiait et elle pensait Parce que … Elle mendie et elle dit À cause de … Celle-ci se souvient seulement que c’est comme ça. Elle a continué à être celle- là. Elle mendiait, elle est celle qui mendie, celle qui continue, celle qui a continué, c’est exactement ça.

Plus tard dans la journée, elle enfilait un coupe-vent déchiré par endroits, elle mendiait. Elle se taisait. Celle qui mendiait était devenue muette. Personne ne voulait être le premier à parler. Elle veut dormir, celle qui mendie. Elle écoute le bruit des clefs dans les poches des passants. Celle qui mendie sous la lumière artificielle du Carrefour-express n´a pas de clefs. Elle n´a pas de nom, non plus. Ça ne sert à rien un nom quand on mendie. Celle qui mendiait secouait la tête. Elle mendiait en secouant la tête, celle qui est celle-là.

Devant les portes coulissantes du Carrefour-express la Direction a fait installer des plots en béton. C´était une vacherie pour celle qui mendiait. C´était impossible pour celle qui mendiait. La chose qui mendiait devant les portes coulissantes du Carrefour-express n´est plus là.
Disparue, envolée, évaporée celle qui mendiait.

A propos de Monique Renaudeau

Entre lecture et écriture, amoureuse de la mer et des mots, ceux qui surgissent ou qui reviennent, ceux qui s’enchaînent et qui deviennent phrases, des marées de mots.

4 commentaires à propos de “vers un écrire/film #04 | celle-ci ou celle-là”

  1. Ce « mendie » quand je lis à haute voix, il m’oblige à mordre comme ton texte. Bravo.
    Cette phrase est très juste : Elle ne dit pas je suis une mendiante, elle mendie. On réduit souvent les autres à ce qu’ils font à un moment, surtout si ce qu’ils font nous dérange. On les réifit, ils ne sont plus des êtres, ils sont réduits à une fonction, c’est beaucoup plus confortable pour nous.

  2. Elle mendie comme un mantra. Elle mendie. Comme un mouvement dans la tête . Elle mendie persiste avec son geste. Avec les portes et la rue. Avec les plots qui ruinent le geste. Merci pour ce texte.