vers un écrire-film #7 les sons d’un souvenir

le bruit infime de sa pipe qui tombe de ses lèvres endormies sur la toile de son pantalon et roule sonner sur les tomettes

le caramel brun de sa voix aux mots rares dans le concert murmuré des timbres de femmes et de filles que transpercent par moment des cris ou crispations aigus

le choc assourdi d’un sac à voiles lâché plus que posé sur un quai, le bruissement échevelé qui sent le chanvre d’un bout qui se déroule

la vibration de la toile qui vit dans le vent, le cliquetis d’une manille, la voix de baryton qui s’en va courir sur la mer, discrète d’abord avant que, dans le plaisir de chanter et de séduire le public faussement inattentif, l’intensité augmente avec des effets, des modulations joueuses

le claquement d’un ordre

en rive des conversations mondaines de sa femme, de sa descendance, de ses amis et des leurs qui ne sont pas tous les siens, le bruit discret de sa canne-siège qui s’enfonce dans la terre et le frottement d’un pied qui joue sur la terre pendant qu’il écoute et sourit

le bruit imaginaire des pattes d’un chien qui le suit quand il s’en va longeant le fleuve

le souffle de sa main qui vient entourer une épaule pour la serrer avec tendre chaleur

son rire glorieux éclatant sur un petit film muet très ancien, silhouette blanche descendant d’entrechat et entrechat une allée entre des buissons, et le claquement des semelles de ses sandales visible à chaque saut

le bruit délicat de son rabot sur une planche sur laquelle il se penche dans le garage derrière une haie de rosiers, son application joyeuse en fabriquant un minuscule dériveur pour ses petits enfants en sifflotant comme le faisait peut-être le grand oncle charpentier de marine

le bruit impatient du moteur de sa voiture dans le jardin, le frottement du portail sur le gravier, les roues sur le béton du seuil, le moteur arrêté, le claquement métallique du portail que l’on ferme, le claquement de la porte du passager, l’énergie du départ

sa voix disant le bruit des cartes renversées dans un réduit du lycée à Alger quand il passait par la fenêtre pour retrouver son petit voilier sur la cale du cercle nautique

Vivaldi sortant du transistor posé à terre près de la porte ouverte de la chambre où il s’en va vers la mort, juste assez fort pour qu’il l’entende sans trouble

image ©Brigitte Célérier – Toulon

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

15 commentaires à propos de “vers un écrire-film #7 les sons d’un souvenir”

  1. Merci Brigitte. Cette autorisation de monter à bord suscite une grande émotion et d’intimes résonances. J’entends paré à virer. J’entends la voix de mon ami disparu, nous criant « bordez ». Merci Brigitte encore une fois.

  2. C’est beau, précieux, simple. Touchant et délicat. Très émouvant. Un sentiment qui résonne longtemps. Merci.

  3. J’ai oublié la proposition. Je passe et cueille ce texte. Comme il paraît simple à vous lire de faire presence de queques fragments. Alors que… Merci, Brigitte.

  4. Très beau… ( dès le début la pipe qui « roule sonner sur les tomettes » )

  5. Merci pour ce texte très émouvant, c’est un beau cadeau qui est fait au lecteur.