196… Voyages

SIX MOIS ET PARTIE OÙ ? Clinique il dit, asile moi je dis, avec cachot bains glacés clefs grandes comme mon bras et paille pour dormir. Pas me prendre pour une truffe l’ai vu dans un film. Elle terrifiée. Elle terrifiée par les autres dérangés la dérangeant. Veulent pas la montrer. Enfants pas autorisés… ne me prenez pas pour une truffe. Lui y va en ramène « elle vous embrasse » comme on dit à n’importe qui le téléphone même pas raccroché « … vous embrasse » sans les bras ni la chair sans la chaleur ni le corps pour le faire juste un formulaire d’affection. Six mois partie où ?  Son voyage commencé en septembre, le 27 pardi, où elle a tout arrêté, elle a arrêté l’épouse et puis la mère, la cuisinière et puis la ménagère elle a arrêté les courses et le petit déjeuner elle a arrêté le balai et les casseroles elle a arrêté le manque de sel dans la soupe et le trop de vinaigre dans la salade elle a arrêté le tricot et les reprises de chaussettes enfilées sur un petit œuf de bois elle a arrêté de tout rater. Tu viens ? Non. Le dernier son rendu comme on rend son diner ou la vie, rendu pour pas un prêté. Il n’y a plus d’amour ma fille il n’y a plus d’amour noli me tanguere je suis le Saint-Suaire je suis sa tombe vivante je suis sa chair et son sang et pourquoi cette vie pourquoi toute cette poussière ? Elle s’est assise là-haut et a planté ses grands yeux noirs dans le jardin d’où montaient comme des bras suppliants les branches noires des poiriers moitié crevés. Les poiriers aux fruits mort-nés s’agitent comme des mains de sorcière tendent leurs poires moignons dures agrippent le ciel et les yeux noirs qui les regardent sans regarder, des yeux à larmes ou à colère on sait même pas. Elle fait plus ni la mère ni le steak trop cuit elle fait statue posée sur le vieux plancher à hauteur de fenêtre pour ses yeux qui charbonnent comme ses cheveux grisonnent. Elle fait grève. Elle est corps posé là lourd, yeux braqués sourde, juste un corps posé là lourd avec des pensées dedans, plein. Ça a duré. Avec des rires pas drôles et des pleurs profonds comme des sondes, toute ramassée sur elle, son corps et ses pensées recroquevillées dans la mère Tupperware étanche sauf les filets de rires et de larmes incompris. Elle répète et dit : Noli me tanguere. En bas le chat serpente entre les herbes, il fait le chasseur une patte en l’air, les hirondelles n’ont qu’à se bien tenir elles font les notes sur la portée de fils haute tension face à la maison. Noli me tanguere elles font les notes piailleuses dans la mélodie grise de ce ciel de septembre car elles vont partir elles aussi où ? En Afrique.  C’est la musique du ciel qu’elles chantent par dessus le chat guetteur elles vont s’enfoncer dans le vaste ciel comme elle s’enfonce dans le noir et la suie dans la tristesse amie enfoncée plus encore loin loin dans le corps là lourd, dans l’intérieur du corps où les enfants poussent et parfois meurent, dans le corps là lourd où le noir et la suie font un nid à la tristesse tant aimée et aux enfants morts. Les hirondelles sont fin prêtes elles vont nous faire l’automne et six mois partir où ? En clinique il dit faut pas me prendre pour une truffe je connais l’asile l’ai vu dans un film le chat peut bien tendre ses moustaches vers le ciel et dilater le petit triangle noirmouillé de sa truffe elles vont voyager jusqu’en Afrique avec leurs toutes petites ailes alors que juste se replier loin dans son corps là lourd peut suffire. 

196…La rentrée

LES CAHIERS sentent le papier neuf, ils sont gras de belles pages luisantes, lourds, nombreux, beaux. Bien fait attention à former mes lettres pour écrire nom prénom classe, 6ème A2, cahier d’histoire et de géographie, cahier de français, cahier de latin, bien souligné les lettres pour qu’elles tiennent, bien épongé au buvard, l’encre bleu royal du stylo plume tout neuf j’en ai plein les doigts, bien couvert tous mes livres, plein, des gros, des lourds des par matières,   appétissants, des neufs aux pages odorantes et glissantes, des vieux un peu déchirés annotés, touchés par d’autres comme s’ils étaient un peu là pour encourager la petite lycéenne puisque petit lycée à l’ombre du lycée grand, une semaine déjà de neuf. Neuf, neuf, tout est neuf. Le trajet en autobus ne pas oublier ses tickets, les bâtiments préfabriqués, trois là où sont les arbres et où se cacher, le grand bâtiment central, vieux, ancienne usine avec salle de permanence immense, un seul surveillant intimidant pour protéger quatre-vingt silences entonnés en chœur, dans le murmure des cahiers neufs et le chuchotis des révisions, on y voisine avec les quatrièmes et les troisièmes les garçons à grosse voix et ombres de moustache les filles à la mode et soutien-gorge on s’y sent petit et pas bien dégourdi, inexistant pas important mais ivre de liberté. Ivre de rosa rosa rosam, ivre de la théorie des ensembles inclusion intersection, ivre de do you speak english yes a little bit and I’m going to the blackboard, ivre de sonorités d’ailleurs de loin, ivre de la mixité. Et minuscule sous le regard lointain hautain de nombreux professeurs dont certains sont agrégés à quoi on ne sait pas, ivre de parcourir incessamment les longs couloirs, géo salle 2 bâtiment B, mathématiques salle 23 bâtiment A, on cherche encore son chemin ivre de liberté et de crainte de se tromper. Loin de l’ennui gris de la petite école, sous le ciel gris et la pluie menaçante, l’avenir est en bourgeon, on va se construire un futur lequel on ne sait pas mais I shall, oh oui, I shall… ça ne pouvait pas durer…

199… Sortir par le jardin

SORTIR PAR LE JARDIN tout frais, marcher sur la rosée le sac en bandoulière avec dedans les dossiers, sortir par le jardin pour faire durer ça : les cinq minutes à soi qu’on a les cinq minutes après la maison vidée, les bols du petit-déjeuner lavés, les dossiers glissés dans le sac, les lits retapés, cinq minutes pour mettre les pieds dans la rosée et la tête dans le ciel, faire le tour du propriétaire comme on dit ou plutôt faire le tour de l’herbe du ciel et des rosiers, les pompons, les lianes et les Cuisses de nymphe émues qui sentent la chair de marquise, et les vivaces à leurs pieds, naïves campanules, corolles simples et bleues des géraniums, passer sous le frais du saule qui pleure ses branches sur la pelouse où l’on déjeunera cet été, cinq minutes pour soi dans la journée, cinq longues minutes pour le petit tour du matin quand tous sont partis et qu’elle peut se dire c’est ici chez moi, c’est là ma maison, j’ai su payer tout ça, cinq minutes étendues comme un drap de plage, fraiches et paisibles pour juste dire à ce soir au bel enclos qu’elle a su acquérir et planter, ce bel enclos de fleurs d’oiseaux et de ciel et s’arracher de là enfin. Dans la rue la magie s’éternise le temps d’un regard aux troènes et lilas penchés par dessus la grille, longer les pavillons plantés comme les dents déchaussées d’une vieille gencive, remonter rue des Résédas puis des Marguerites, rejoindre la place où l’église a l’air d’un hangar, traverser le parking qui boitille, s’enfoncer rue de Paris entre des pavillons de plus en plus coquets de plus en plus meulières, rentrer dans la gare ouverte à tous les courants d’air mais à très peu de trains, perdre son regard le long des échangeurs comme des faveurs faites à la ville et le petit bois tassé de l’autre côté, être coupée de toute magie une fois dans le train vieux, cahotant nauséabond sale, plonger dans un livre, traverser deux trois villes semblables, pénétrer dans Paris se ruer dans un métro puis un autre, suis à la rue si vous pouvez m’aider d’une petite pièce d’un ticket de restau ou de métro une cigarette un sourire, descendre la rue Montmartre, monter à l’étage par un escalier sale et tortueux. Bon, y’a quoi aujourd’hui ? Une journée  semblable aux autres loin de soi, des enfants, du ciel des fleurs des oiseaux… Au soir, chemin inverse, moins de trains encore, plus de deux heures pour rentrer, ce n’est plus le même ciel par dessus le toit, rentrer par le jardin… 

A propos de Catherine Plée

Je sais pas qui suis-je ? Quelqu'un quelque part, je crois, qui veut écrire depuis bien longtemps, écrit régulièrement depuis dix ans, beaucoup plus sérieusement depuis trois ans avec la découverte de Tierslivre et est bien contente de retrouver la bande des dingues du clavier...

11 commentaires à propos de “196… Voyages”

  1. Merci Catherine Plée ! Je suis restée scotchée sur votre premier texte qui – pour le coup – me touche vraiment beaucoup si bien que je ne sais pas quoi dire d’un peu construit. Magnifique. Puis me suis laissée apaiser, rafraîchir par les vibrations des possibles, la beauté du jardin et l’espièglerie qui crépite un peu partout. Bref, je n’ai aucun recul sur votre texte : j’adore !

    • merci Déneb votre lecture me touche beaucoup, cela me fait penser que je crois pas avoir lu votre 27 ( je me noie un peu dans les 27) voilà un joli possible…

  2. Je n’ai lu que le 1, Catherine. Je ne veux pas plus loin, pas maintenant, juste rester là dans ce texte-là, dans la fin de ce texte-là, dans cette écriture que je ne sais comment tu as fait mais c’est elle, juste cette façon si particulière qui convenait pour ce personnage, son corps, son malheur, cette rupture dans sa vie… c’est trop beau, trop triste et plus encore d’avoir été écrit comme ça. Merveilleux. Même si le mot est en rupture avec le sujet. Merci

    • Grand merci Marlen j’ai pourtant bien peiné à ne me souvenir d’aucun 27 septembre en particulier, c’est donc approximativement septembre…

  3. j’ai lu le 1 et j’en ai aimé la syntaxe qui évoque la voix intérieur de elle (si sa voix intérieure est aussi heurtée que le sont souvent nos discours quand le tréfonds veut sortir) mais pas que
    et je reste sur le charme des premiers pas matinaux dans la rosée du jardin avec un peu d’envie même si la suite ressemble davantage à ce que j’ai connu

  4. Le premier texte est vraiment extraordinaire dans sa densité, son traitement à bras le corps du drame vécu, son écriture, et le troisième dans sa fraîcheur, sa rosée lui offre un très beau pendant, une respiration, une échappée. Très beau.

  5. J’ai beaucoup aimé vos trois 27 septembres et leurs différentes tonalités : la densité du 1, les réminiscences d’odeurs et de sensations du 2 ( merci pour la vidéo et sa dramaturgie au chapitre « la séparation » :)), la promenade intense de ces cinq minutes du 3 où se dit beaucoup entre les « j’ai su payer, su acquérir » et la traversée jusqu’au poste de travail et retour.

  6. Merci Béatrice. Oui, moi aussi j’aime beaucoup cette vidéo… ces visages déchirés des enfants