zone industrielle

sans doute avais-je déjà regardé puisque je suis sûr de la date, puisque je savais que c’était un mardi il faisait beau, le contrat déjà signé, deux francs quatre-vingt-neuf de l’heure (les francs ont été nouveaux à partir du début de cette décennie-là, ma grand-mère ne s’y est jamais faite) quarante-quatre heures par semaine dont les quatre du samedi (matin – huit douze) augmentées de vingt pour cent soit cinquante six centimes de plus à l’heure ce qui monte le tarif horaire subordonné à trois quarante cinq quand même ( j’ai déjà dû calculer ça, du premier juillet au 30 août de cette année-là, encore que j’ai changé de poste vers le quinze du mois) – on embauche à huit heures, on a son bleu son casier sa fiche de pointage (l’heure est divisée en cent parties égales – pas en temps mais en virtuelle administration) – vingt-deux minutes de pause repas (pointée), plus une pause de cinq minutes (non pointée) toutes les heures – on peut alors si le cœur en dit aller soulager quelque besoin impérieux – un balai d’un mètre de large pour commencer, nettoyer ici ou là – quelques lignes (six ou huit) de malaxeurs, le bruit et la chaleur, la fureur c’est ce qui happe immédiatement, on est dans son bleu réglementaire à fermeture éclair, les habits non prévus pour – opter pour un marcel (à manche si on veut) et un slip point barre mais ce premier jour, cette première fois, le casier est vide, on a gardé sur soi la chemise et le jean, les chaussures (des tennis blanches, faut-y être bête) ne sont pas adaptées, on balaie le noir de carbone tandis que dans les malaxeurs éclatent les caoutchoucs (provenance encore Congo qui n’était plus belge, bientôt Birmanie (sous dictature, hier comme aujourd’hui…) : c’est sans importance) – deux mètres sur deux un carré de fumoir (on ne fume pas encore, on a eu seize ans le mois dernier, on ne boit pas non plus) ceints de barrières en gros tube (section quinze) qu’on aura à repeindre bientôt – dans les jaunes dans les gris – deux bancs craspoques qui se font face, une espèce de tonneau coupé au milieu qui fait office de cendreur, une horreur – le premier humain qui vous adresse la parole est le chef d’équipe (blanc, cinquante sept ans peut-être, dents manquantes poils ras blanc bleu personnel chaussures de force pas spécialement sympathique) – vous êtes fils de cadre, vous avez droit à quelque politesse (un ami, fils de prolo, n’aura pas les mêmes égards : les explications sur la pointeuse, sur le casiers, sur les horaires), il est huit heures vingt c’est le matin du premier juillet, et déjà sans la moindre conteste, il vous apparaît certain que vous ferez tout (mais tout ce qui est humainement possible en votre pouvoir envisageable et en votre honneur aussi) vous ferez tout pour ne plus foutre les pieds dans une usine, et encore moins dans votre vie professionnelle (pour le moment, c’est avéré) – mais on a continué cependant (pour honorer son contrat, puis par forcenée volonté) pendant quatre fois les vacances alors scolaires

une affaire déjà explicitée en atelier – c’est sans doute le cas de le dire – un article illustré ici – du même ordre –

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

Un commentaire à propos de “zone industrielle”

  1. en fait c’était pas mal ces jobs de vacances qui nous mettaient en contact avec la vie que nous n’aurons pas (j’ai arraché des patates, et aidé à des vendanges mais pour elles c’était en « touriste » ou presque) –