DEBOUT

Assis couché DEBOUT assis couché DEBOUT bien dressé au garde-à-vous qu’il est de bout en bout fait tout dans l’ordre tout comme il faut dressé qu’il est et pendant que l’ordre à képi s’entête assis couché DEBOUT et que le corps obéit la tête elle vagabonde et se souvient d’un bout de dictée les pins bleus DEBOUT sur l’horizon c’est joli tiens ça se souvient encore assis à sa table à tirer la langue pour étirer une écriture bien droite tout comme il faut comme là maintenant une écriture DEBOUT tandis que lui assis tire la langue s’applique se demande pourquoi les pins sont bleus DEBOUT oui mais bleus DEBOUT ça prend un s les pins bleus DEBOUT de la terre jusqu’au ciel amen s’embrouille dans les accords et se noie dans le bleu des pins DEBOUT droits comme des i sur la ligne de l’horizon ils écrivent bien les pins DEBOUT sur l’horizon mais lui c’est le bleu qui le turlupine assis couché DEBOUT l’ordre crache ses mots pas commodes les mots assis couché DEBOUT embrouillent pas la tête au moins ces mots assis couché DEBOUT suffit d’obéir se plier comme le roseau de la fable se souvient aussi de ça là soudain revoit comme si c’était hier le chêne couché pas DEBOUT comme les pins bleus et le roseau lui qui baisse la tête fait le gros dos mais se relève DEBOUT et pas peu fier quand il voit le chêne déraciné abattu brisé humilié dans le grand vent rêve de palmier royal le chêne rêve de territoire en bois DEBOUT rêve d’échapper à son destin de fable rêve d’autres légendes rêve du totem ancestral du poteau mitan des danses vaudous rêve de bois dressés serrés serrés DEBOUT l’un contre l’autre peuvent pas tomber DEBOUT les uns contre les autres appuyés à se toucher les cimes DEBOUT à frôler la lune et les étoiles forêts de bois forêts de mâts drisses qui cliquettent en guise de cimes marines bientôt au vent DEBOUT le mât et vogue la galère à la lame au courant à la vie à la mort quoiqu’il advienne de face, de bout, par l’avant DEBOUT dans le grand vent qui tourbillonne toujours la même histoire, le même conte à dormir DEBOUT et pourtant il faut car DEBOUT veut ne pas céder DEBOUT réclame la verticale DEBOUT exige l’aplomb du soleil DEBOUT requiert l’enraciné tête renversée vers le ciel, allons donc puisqu’il faut DEBOUT hors du lit levé allez DEBOUT encore une journée à tirer DEBOUT dans le métro DEBOUT au boulot DEBOUT qu’il pleuve qu’il vente qu’il neige contre vents et marées et quoiqu’il arrive DEBOUT sur ses deux pieds après avoir dormi sur ses deux oreilles ou presque DEBOUT coûte que coûte exister en dépit de malgré envers et contre tout à tout le moins vivre DEBOUT pour mourir DEBOUT voilà tout à défaut de l’éternité une vie DEBOUT DEBOUT les assoupis les endormis les résignés les fatigués les pas-envie à contre-fil de la vie DEBOUT les morts et en avant Jugement ou pas DEBOUT le peuple DEBOUT les damnés de la terre assis couchés piétinés écrasés face contre terre le peuple DEBOUT au quart et que ça saute la révolte camarades DEBOUT DEBOUT et plus vite que ça DEBOUT de but de but en blanc d’emblée tout de suite car la vie n’attend pas DEBOUT la vie celle-là qu’on dit qu’elle vaut la peine d’être vécue la vie dressée la vie relevée parce que la vie humiliée à ras terre et plus bas que terre ça ne tient pas DEBOUT là-dedans ! autour devant derrière au-dessus et au-dessous DEBOUT ! mettre DEBOUT, voilà l’histoire ! et ça tient ça tient ça tient ça tient ça tient DEBOUT !

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !

4 commentaires à propos de “DEBOUT”

    • Débordée, je prends enfin le temps de répondre en me replongeant dans le foisonnement des textes du site. Merci pour ce retour. Ça aide à continuer, mine de rien !

  1. Un texte qui remet bien d’aplomb, courbés que nous sommes sous le poids de l’année… J’aime beaucoup l’enfant aux pins bleus…

  2. Oui, et courbée sous le poids de tant d’autres choses encore…L’enfant aux pins bleus, je le dois à une citation de Genevoix, écrivain qui m’est tout à fait inconnu, au détour de l’article de dictionnaire : « Les pins bleus debout sur l’horizon (Genevoix, « Raboliot »,1925, p. 306). » J’aime divaguer à partir des articles de dictionnaire…