Carnets individuels – Sylvia Boumendil

Prologue

On cherche, on observe, on détaille, on touche la couverture, une page ou deux, on évalue le papier, l’épaisseur, on estime, on se dit ce sera quoi, on en vient presque à le sentir. Le carnet neuf, il faut pas se tromper, on va lui en faire voir. Déjà peut-être on pense à la première phrase de la première page. Ça engage, on s’engage.
Carnets. Neufs vieux couvertures intactes abîmées décolorées démarrage projets décisions intentions pensées perceptions sensations conversations citations noter relever retenir relus déchirés jetés conservés recollés oubliés séparés ensevelis pages blanches griffonnées écornées surprises déceptions étonnement reprendre continuer corriger augmenter rayer avancer avancer avancer

#. 1 – billet


J’ai retrouvé un billet de 100 francs dans une petite bourse noire brodée de perles. Rappel de la difficulté que j’ai eue à convertir les francs en euros. Et cette bourse oubliée du temps des anciens francs. Va falloir l’écrire.

# 2 – si loin si loin

Un mois de janvier qui s’éternise. L’avion de 6 heures du matin. Des corneilles plantées sur le parvis d’une église devant un groupe de vieilles personnes qui regardent s’éloigner le corbillard. Un ciel coton sans trouée enrobant. Une phrase d’un écrivain : « bien qu’un peu ivre, je sortis avec la gaucherie d’un homme nu ». Un soleil plein pot sur le pelage d’un chat siamois, tellement qu’on dirait une hermine.

# 3 – il aurait fallu…

On aurait pu rester là plus longtemps. Il aurait fallu faire un pas de côté et retenir l’élégance du geste de ce type qui donnait à manger aux pigeons. On aurait décrit la froideur de l’hiver, mes poings gelés calés au fond des poches. Il aurait fallu s’approcher davantage, on ne peut plus s’approcher davantage. On va laisser flotter des images.

# 4 – phrase de réveil

Quel jour, dimanche. Pégase et nébuleuses. Étoiles et constellation. Nébuleuse et constellation au pluriel ou au singulier ? Une phrase de réveil. Ah oui.

# 5 – ciel de lundi

  • Ma mère disait c’est la purée de pois. Le ciel de ce lundi matin est purée de pois.
  • La purée de pois est un brouillard très dense et très épais.
  • Disons que la purée de pois de ce jour ne concerne que le ciel d’altitude. La visibilité, de mon point de vue, est parfaitement bonne.
  • Le site des prévisions de la météo agricole est enregistré dans mes favoris.
  • 12h30. Une percée dans la masse laiteuse et un rai de lumière blanche cible mon assiette.
  • 13h30. Ça bouge là-haut. Les nuages se désintègrent. Assiette vide. Quelques miettes clairsemées comme des fragments du temps qui passe.


# – 6 – personne d’autre que moi

Personne d’autre que moi n’aurait remarqué ce minuscule insecte se débattant dans mon verre de vin rouge.
Personne d’autre que moi n’aurait pensé à écrire ça.

# – 7 – chaque visage un trait

l’homme, sa casquette qu’il a mise à l’envers, visière dans le cou lorsqu’il a parlé avec force et conviction de la culture de son pays | l’homme, une verrue au coin du nez et ses E qu’il prononce comme des i | la femme précise attentive silencieuse et son hoquet derrière son masque |

# 8 – les noms c’est du propre

Lisette Alvarice Janbier Marcel Boissard Raphaël Lancelot Maréchal de Lattre de Tassigny Général de Gaulle Rousseau Le Corbusier Saint-Pierre Louise Michel Gabriel Goudy André Malraux Kris Belin Louis Aragon Frère Louis Molière Jean Fraix Paul Tthéry Maurice Lagathu Claude Gaulué Jean-Louis Barrault Pitre Athénas François Bonamy Claude Cahun Fred Mozart Mendès-France Guy Môquet Jacques Higelin

# 9 – ne pas s’attarder sur

À vos côtés pour tous vos projets immobiliers ne pas s’attarder sur, des conseillers disponibles et réactifs pour l’aboutissement de votre projet ne pas s’attarder sur, n’hésitez pas à faire confiance à un professionnel ne pas s’attarder sur, estimation de votre bien en 2 minutes ne pas s’attarder sur, une entreprise familiale qui accompagne ses clients pour les sécuriser ne pas s’attarder sur…

# – 10 – pendant que

Pendant que je réfléchis, je suis bien convaincue qu’un orage  bouscule des quotidiens

Pendant que je réfléchis, je voudrais ne pas réfléchir

Pendant que je réfléchis, je ne pense pas avoir grande influence sur les imaginaires de ceux que je ne connais pas

Pendant que je réfléchis,  je pense à d’autres qui réfléchissent

Pendant que je réfléchis, je n’imagine pas le nombre de personnes qui ne réfléchissent pas.

# – 12 – la grisaille, les dessous

Ça vient de loin, du profond, du dedans. Ça ne se sait pas encore. Ça ne se sait pas que ça se sait. In-su. Su-in. Su en dedans. Du flou.  À peine en conscience. 
Dehors c’est là, ça attend. 
Et l’étrange alchimie, la rencontre. Ça dialogue dedans/dehors. 
Il faut laisser la porte ouverte.

# – 13 – arrêter le monde

Des feuilles rouge-orangé entassées en colline. Un tas de fragilités par dessus l’ardoise froide. Des petites choses rabougries et craquantes, modestes et sans prétention, un minuscule fragment du monde. Je suis plantée devant cette accumulation de matière organique et pendant que je pense à autre chose, il commence à pleuvoir.

# – 14 – rien qu’une seconde

L’avion approche de la piste d’atterrissage. Un bruit d’envahisseur, une traînée blanche empoisonnante, une carlingue de métal dont on ne mesure pas la taille, un sigle joliment coloré joliment composé, des gens invisibles, immobiles à 300 à l’heure. Je veux savoir d’où ils viennent.

# – 15 – cut up moi ça

je suis bien obligé de pourquoi baisser de 780 ce serait bête de passer les miens non plus ne sont pas très je leur faudrait toujours l’avoir franchement c’est la route qui va au doucement Jacqueline ah oui et des bruits toute la peut-être trop fatigant pour de rien autrement elle est moins haute que qui quoi dommage je croyais qu’il et mardi je

# – 16 – il fait froid, couvrons-nous

Un pantalon de jogging noir, 2 bandes satinées noires surpiquées de chaque côté des jambes. Des bottines chocolat, cirées, taille 43 ou 44, on ne voit pas le haut de la chausse. Un parka crème, épais, dont on pressent le confort, une capuche bordée d’une fourrure probablement synthétique. Une chemise à carreaux caramel/bleu marine, sous un gilet doudoune bleu sombre, sans manche. Une blouse 3/4 parme, col Mao blanc, poche poitrine bordée blanc, deux grandes poches de chaque côté, des stylos, perception de stylos. Un gilet jaune dessus un anorak beige clair, une écharpe noire semble-t-il. Un pull rouge sang polyamide ou quelque chose ça ( on voit de loin quand c’est pas ldd la laine). Doudoune noire matelassée diagonale dans le dos, matelassée sans surpiqûres devant. Gilet rose façon gilet jaune sur sweat gris à capuche, cotonnade épaisse, sac à dos de ville. Gilet orange, façon gilet jaune, sur pull noir en laine, dans le dos le sigle et les mots «banques alimentaires ». Chandail moutarde sur tunique fleurie qu’on voit dépasser du chandail. Gilet noir sans manches, tissu synthétique probablement, marque du grand magasin à l’endroit de la poitrine, sur chemisier gris souris. Veste jean déboutonnée, pull coton blanc, décontracté. Legging sport, comme un collant, violet, lettres CK enlacées, grande bande jaune qui s’en va de la hanche gauche vers la cheville. Manteau noir laine, long, épais, dépassent collants noirs élégants, chaussures Doc Martens.

# – 17 – petits embellissements bienvenus

Changer les couleurs de l’air. À grands coups de pinceaux. La gamme sera étendue. Les répercussions seront considérables. Les teintes de la ville prendront de l’intensité. Les vibrations changeantes et continues viendront percuter nos pupilles. Nous marcherons dans des variations infinies. La ville sera notre palette. Nous serons brillants et éclatants.

# – 18 – recopier c’est facile

On découvre dans tout son passé ridicule tellement ridicule, de tromperie, de crédulité qu’on voudrait peut-être s’arrêter tout net d’être jeune, attendre la jeunesse qu’elle se détache, attendre qu’elle vous dépasse, la voir s’en aller, s’éloigner, regarder toute sa vanité, porter la main dans son vide, la voir repasser encore devant soi, et puis soi partir, être sûr qu’elle s’en est bien allée sa jeunesse et tranquillement alors, de son côté, bien à soi repasser tout doucement de l’autre côté du Temps pour regarder vraiment comment qu’ils sont les gens et les choses. 

618 pages. Livre de poche. Couverture très assouplie cause manipulations fréquentes. Désir de recopier tant de phrases qu’un carnet n’y suffirait pas. Jamais écrire sur les pages d’un livre. Jamais écorner une page. Solution : mini post-it de couleur, une signalétique adaptée, joyeuse et modifiable si besoin, ça me convient. Ces petites languettes fluo me rappellent qu’il s’est passé quelque chose par là, Il s’est passé beaucoup de choses avec celui-là. 

# – 19 – transaction

Il a regardé ses yeux / elles se sont fait un signe de la main / on lisait sur ses lèvres qu’il lui disait merci / elle lui a dit quel con il lui a fait doigt d’honneur / elle a miaulé il a rempli la gamelle / on s’est embrassées / il a dit merci elle a dit de rien / il a dit pardon elle lui a souri / il lui a dit madame vous avez perdu quelque chose elle lui a dit oh merci / il lui a dit la forme ? elle a dit ça va / elle lui a remis le courrier en mains propres / il a dit vous avez dû vous tromper de numéro

# – 20 – la scène est muette mais vaut son prix

On était tous là dans le froid de l’église. Après le speech habituel du curé sur l’amour, sur la femme bientôt soumise à son mari par l’opération du passage de l’alliance, la grande scène de la corbeille d’osier passant de mains en mains. Fallait mettre des sous. Mon voisin de gauche m’a tendu la corbeille, je devais la refiler à droite en n’omettant pas de mettre au moins un petit billet. Je sentais les regards pesants de mes voisins. Qu’est-ce que je pouvais faire ?

# – 21 – faire bouger les choses

Voici la place. Le parking. Des voitures alignées comme des sardines en boîtes. À l’angle, les vide-ordures publics. Déposé ce matin sur la benne recyclables, un livre de photographies et entretiens de Olivier Pasquier, Creaphiseditions, intitulé Merci aux travailleurs venus de loin.

# – 22 – on remet ça…

Le livre que j’ai volontairement perdu hier matin sur la benne à ordures (voir # 20), n’était plus là à 17h.

# – 23 – exercice avec dénombrement

12,31 secondes et 31 pas pour traverser le jardin, puis 29,48 secondes et 54 pas pour aller de la porte du jardin au vide-ordures public sur lequel j’ai, le 31/12/2022 à 10h, volontairement oublié un livre 10×15 de 64 pages, réunissant 28 portraits de travailleurs migrants.

# – 24 – salle d’attente

Un cadavre de mouche à mes pieds. Froids mes pieds. Une autre mouche vivante qui escalade ma jambe et se confronte aux plis de mon pantalon. Elle se frotte la tête avec ses deux pattes avant. Elle a, comme moi, un cœur, des muscles, des viscères. Il doit battre très vite son cœur. J’ai le temps de penser aux mouches. C’est fou les mouches, ça marche au plafond sans tomber. Il y en une, de mouche, au plafond, d’ailleurs. Les mouches vivantes se foutent de la mouche morte, je pense.

# – 25 – fragment d’un corps

Je veux dire l’enveloppe, à l’angle de deux doigts en mouvement, et sa façon élastique, les flux et reflux comme courants tranquilles, des mouvements continus qui tendent et détendent et distendent et des respirations fissures d’où transpirent et refoulent des suées d’existant.

# – 26 – choses nettes, choses floues

Journée sans adjectifs et sans lunettes.
Fermer un œil Philippe Cognée.
Fermer l’autre œil Gérard Schlosser
Fermer un oeil peur de glisser sur une | autre œil |  feuille.
Fermer un œil pas dit bonjour 
Fermer l’autre œil trop tard. 
L’œil qui me relie au réel, l’œil qui me le trouble.
Journée clins d’œil.

# – 27 – pas moi, mon double

Son regard vers les arbres agités et déjà une sensation de froid.  
Ses mains près du poêle, sa peau chauffée qui prend une couleur d’automne. 
Des odeurs de cuisine qui racontent ses gestes préalables. 
Une idée qui traverse et s’en va, un sourire minuscule.

– # 28 – ruminé, rabâché, ressassé

Comme fixe et non tourne en boomerang et disparaît puis revient mâche étire s’associe tourne autour non tourne pas autour disparaît puis revient étire et resserre qu’est-ce que c’est retour d’oubli inévitable torrent.

# – 29 – pas dû, voila

Pas dû des heures sur un écran une billetterie qui finalement écran blanc pas alors pas dû s’énerver contre ça contre tout c’est malin et pendant ce temps là ça file ça file et là écran blanc sans personne pas dû imaginer l’humain de la machine comme si tu parles un mur de vide et des doigts qui s’agacent pas dû penser que ça irait plus vite.

# – 30 – fait divers, tout petit fait divers

Accident d’automne. Un homme, en forêt, a été grièvement blessé après avoir reçu une balle dans le ventre. Un accident de chasse confirme le procureur. On ne sait pas encore si c’est un accident ou un ricochet, dit le patron des chasseurs du département. [ Je découvre qu’on fait une distinction entre ricochet et accident ]. Il dit aussi : Si c’est un accident, ça arrive et on ne peut pas faire grand chose, si la victime avait été touchée directement, elle serait morte.

# – 31 – l’état du monde

L’état du monde,  colère doublée de terribles angoisses quand je croise une femme enceinte.

# – 32 – les morts sont parmi nous

Un stylo-plume, plume or, stylo cadeau de qui déteste la vulgarité, stylo toujours posé sur mon bureau, j’ai perdu l’habitude d’écrire au stylo-plume, faudrait que je le recharge en encre, faudrait que je le reprenne, faudrait que j’écrive avec et j’écrirai ton nom sur un joli papier.

# – 33 – faire le vide

Un corps débarrassé, un peu libéré de tourments, un moment immobile, voir dehors pour mieux  regarder en dedans, un temps de rêverie en soi, une patience, une confiance en l’attente, s’aimer pour que s’ouvrent les portes.

# – 34 – ah! Ce serait une histoire pour…

Elle a coupé des légumes pour faire une soupe. Elle s’est demandé combien de légumes elle avait coupés dans sa vie pour faire des soupes. Tout en les coupant ses légumes, elle a pensé à des paysages où l’horizon n’en finit pas de s’étendre, une sorte d’infini qui se déploierait sous ses yeux. Elle a pensé à un voyage. Et puis elle a dit zut. Elle est allée chercher un petit pansement qu’elle a collé sur sa coupure.

# – 35 – la panne, l’embrouille

Un cheval qui pile devant l’obstacle, une paralysie subite, un rideau qui se ferme, prenez garde à la fermeture des portes et des mots en attente.
Les  yeux au plafond parce que ces mots, ils doivent être là-haut, quelque part dans le plafond de la tête. Sur le bout de la langue et dans le plafond. Des mots j’en ai plein partout et pas toujours au bon endroit.

# – 36 – routines du lire écrire, et quoi faire de mieux

Chaque fois que c’est possible, quand je marche par exemple, j’écoute au casque le podcast d’une émission, une lecture, un auteur sur sa démarche, son livre….
Dans les transports en commun, au cinéma en attendant le noir, au lit bien sûr, c’est le livre papier.
Je note si je peux quelques phrases au passage, ou bien je colle des petits post’it.
Dans mon bureau, je dois construire l’espace. J’allège, je range. L’après-midi si possible, quelques heures consacrées à écrire, lire, relire sur un bureau rangé, désencombré. ( ça veut dire que j’ai à peu près réglé ce qui doit être réglé).
Je m’appuie beaucoup sur la poésie pour construire mes ateliers, j’écoute ce que disent les poètes. Alors, j’en lis et relis, les livres sont à portée de mains.
Je lis, aussi souvent que je peux, les pages facebook de mes amis, leurs textes, leurs trouvailles. Je découvre des auteurs, des poètes, des petites phrases. C’est incontournable.
Et je me donne  pour contrainte de lire de grands auteurs classiques.
Je suis attachée à quelques livres que je conserve précieusement. Les autres, je les vends, je les donne. Je renouvelle le stock et là, une certaine jouissance à lire des titres et des titres, des 4eme de couverture chez le libraire.  Parfois je repars les mains vides.
Quand je sens que je sature dans ma lecture,  je passe à autre chose. Je ne m’oblige jamais à terminer un livre si je n’accroche pas. Mais je me contraints à poursuivre l’écriture même si ça coince ( je n’y parviens pas toujours).
Mes ennemis : la fatigue, la paresse, la grosse flemme et tout ce qui fait traîner des pieds. 

# – 37 – du par coeur

Rome, l’unique objet de mon ressentiment
Rome à qui vient ton bras d’immoler mon amant
Rome qui t’a vu naître et que ton cœur adore
Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore.
Rue mademoiselle, l’École de l’acteur, j’ai 17 ans. J’apprends ce texte, je cherche, je travaille, je comprends sa puissance, j’y crois, je suis bien, j’ai trouvé le bonheur.

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, l’espace d’un printemps.
Une phrase qui circulait chez les femmes de la famille. Une phrase de deuil probablement écrite sur la tombe de cette enfant morte de la grippe espagnole durant la guerre de 14. Une phrase un peu lourde de sens mais dont j’aimais le rythme qui ressemblait celui d’une comptine. 

Et à propos de roses 

Mignonne allons voir si la rose
Qui ce matin avait éclose
Sa robe de pourpre au soleil
N’a point perdu cette vespree 

Je suis restée bloquée sur cette vespree que j’associe pour l’éternité à la prononciation de la prof de français qui mâchouillait le e final : vespré-e.

Sous le Pont Mirabeau coule la Seine et nos souvenirs, faut-il qu’il m’en souvienne.

L’adolescence et l’amitié. Nous aimions toutes les deux ce Pont Mirabeau que nous déclamions en riant. Elle m’avait offert les poèmes d’Apollinaire dans la Pléiade avant de faire une fugue avec son amoureux. J’étais la seule à savoir où elle était. J’ai gardé le secret.

# – 38 – stratégies du rêve

Ça pourrait être un roman graphique sur l’exploration d’un espace, sur un labyrinthe noirci où une pièce succède à une autre et encore à une autre, il faudrait du noir et blanc et soigner les détails, les murs, les portes transparentes. Ça pourrait être un film où l’héroïne découvre un endroit qui ne ressemble à rien de connu, une sorte de gouffre qui n’en est pas, il faudrait faire abstraction du temps, tamiser les lumières, donner le sentiment d’être et de ne pas être l’œil de l’héroïne. Ça pourrait être un roman où l’héroïne voudrait raconter quelque chose d’impossible à décrire. Il faudrait des mots simples pour comprendre cette inaccessible quête.

# – 39 – ce dont on ne peut pas parler

Ce que je sais et que j’écris.
Ce que je pense et que j’écris.
Ce que je sais de ce que j’écris. 
Ce que je sais et que je ne peux écrire.
Ce que je ne sais pas et que j’écris.
Ce que j’imagine et que je ne peux écrire.
Ce que je ne sais pas, que je n’écrirai pas.
Ce à quoi je ne peux pas penser.
Ce que j’oublie qui ne s’écrit pas.
Ce que j’écris de ce que je pense.
Ce que je sais du silence.
Ce qui m’échappe et que j’essaye d’écrire.
Ce qui ne s’écrira jamais.

# – 40 – poursuivre…

Invitations à poursuivre.
Phrases glanées dans quelques livres de ma bibliothèque.

– Chaque matin, en ouvrant les portes,
– Une pensée le fait rire.
Cela n’a pas la moindre importance,
 Des mots, il y en a des cachés parmi les autres, comme des cailloux.
– Il serait intéressant d’aller voir de plus près.
 L’essentiel est que nous sachions voir.
–  Il faut faire ce que l’on peut.
– Je vais aller à la bibliothèque à présent prendre un livre, et lire et regarder ; et lire encore et regarder.
Il prend une nouvelle feuille de papier, la pose sur la table devant lui et trace ces mots avec son stylo. Cela fut. Ce ne sera jamais plus. Se souvenir.
– ET cette invitation de Eric Chevillard : Je fais ici la navrante démonstration que je n’ai que trois idées par jourhttps://autofictif.blogspot.com/  

A propos de Sylvia Boumendil

J'ai été éducatrice puis formatrice. J'ai suivi une formation "Histoire de vie en formation" à l’université de Nantes, un séminaire à Paris 8 "Faire l'histoire de nos apprentissages de la lecture et de l'écriture" et j'ai été formée à l'animation d'ateliers d'écriture dans la maison de Julien Gracq à St-Florent sur Loire "Lire et écrire en pays de Loire". J'ai publié un livre d'art et des textes dans des ouvrages collectifs. Sites : ecrire44.fr / sylviaboumendil.fr

60 commentaires à propos de “Carnets individuels – Sylvia Boumendil”

  1. Ce verre de vin rouge que tout le monde a rencontré. Mais qui reste à jamais le plus personnel consommé !

  2. « on va laisser flotter des images » / Découverte de ces évocations et de votre carnet au hasard des nombreuses publications (on en rate certainement, hélas) et, oui, ces images flottent, on s’en empare avec douceur.
    Peut-on en redemander, s’il vous plaît ?

  3. Coup de cœur et sourires pour des phrases qui ont résonné pour moi comme de jolies impertinences : ainsi « personne d’autre que moi n’écrirait cela », séduite également par le développement inexorable et piquant de cette 10.

  4. A propos du #17
    Certaines villes pètent de couleurs, notamment en Amérique latine. Ici la couleur a perdu, nous avec.
    Quand va-t-elle renaître ?

  5. Dépôts sauvages interdits et y déposer un livre ! excellent ! belle désobéissance civique !

  6. bien aimé ces petites touches, en particulier la couleur de l’air et les pendant que. Vous aviez donc anticipé le 22… Aviez-vous mis un lien, des coordonnées, un message sur ce livre ?

    • Merci Perle. Je n’ai rien laissé sur le livre, aucune trace. J’aime bien cette idée de total anonymat. Donc je ne sais pas qui a pris ce livre. Je pense qu’un jour par hasard, quelqu’un me dira qu’il ou elle a trouvé un joli livre de photos sur le vide-ordures de la place Jean Bart. Je suis certaine que l’histoire n’est pas terminée !

  7. Moi, je vois des images d’un film de Buñuel ou de Resnais (je ne connais pas le film avec Delphine Seyrig dont vous faites écho). Une scène filmée joliment mise en extrait. Merci.

  8. Bonsoir. J’ai comme tous peu de temps pour lire les textes, le vôtre m’a bien accrochée, il est très vivant. Votre #38 est belle, et votre pont Mirabeau m’a fait rire. Merci.

  9. J’aime beaucoup votre carnet et la 40 en particulier à partir de phrases piochées dans des livres. Et de découvrir le journal d’Eric Chevillard que je ne connaissais pas (le journal). Merci pour tout ça.

    • Merci Jean-Luc ! Et pour la petite histoire, j’ai écrit durant 7 mois sous la forme des 3 phrases par jour de Eric Chevillard (1 sur l’environnement, 1 citation ou phrase entendue, 1 pensée personnelle). Dans ce carnet Tiers Livre, j’ai repris quelques phrases de mon carnet-journal. Une expérience à partager. Par ailleurs, j’apprécie votre écriture et cette idée de raccrocher le texte à une citation. Je me suis embarquée 2 fois plus ! Et enfin, je connais bien Saint-Michel Chef-Chef et c’est très beau d’en parler comme vous l’avez fait sur une autre page. Amicalement !