#été2023 #06 | l’argent – puisque tu veux pas qu’on en parle

« Bon, puisque tu veux pas qu’on en parle, tant pis, je vais le faire toute seule. Après tout, qui est-ce qui gagne deux fois plus que l’autre dans cette maison, hein ? Tes fleurs qu’on ramène du marché tous les dimanches, et cette pendule qui a coûté un SMIC quand on se baladait aux Puces l’autre jour, hein, elles sont arrivées toutes seules comme des grandes dans le salon ? Bon, alors fais pas suer, d’ailleurs, il s’agit bien de ça, si j’ai envie d’un nouveau trampoline pour l’été prochain, c’est moi qui décide, c’est moi qui l’achète. »

Elle part fâchée, je sais bien que ça va durer la journée, la semaine peut-être, même, avant que ses yeux doux et ses mains sur mes hanches, voire ailleurs. Bon. Je vais faire un tour au jardin, au moins là les radis et les courgettes ne me parleront pas pognon, choix dans la vie et conscience de notre situation. Parce que oui, je sais que je suis dépendante, oui, j’ai notion des efforts à consentir pour vivre ici, nourrir la famille, être bien habillé·es et pouvoir aller au cinéma de temps en temps. Oui, je sais que je passe quarante heures par semaine à faire les comptes d’une boîte où personne ne se soucie de mon salaire de misère alors que je vois passer un bon million de francs chaque mois rien que sur le compte fournisseurs. Alors au service Admin des Ventes, j’ose même pas y penser. Après, c’est vrai que j’ai la tête en l’air, c’est peut-être à cause de Maman, elle disait tout le temps qu’on pouvait vivre de la beauté du ciel, peindre les nuages et les lueurs sur le lac c’est une activité qui fait du bien, écouter de la musique au kiosque sur le Pâquier c’est doux aussi, ça donne des frissons et après on peut aller la main dans la main de l’être aimé sans se soucier du lendemain. Mais voilà, y a un mot de trop dans cette phrase, c’est le verbe soucier, tiens c’est marrant ça commence par sou, comme si toujours l’argent nous empêchait d’être heureuses, il faut vraiment croire que ce que disait Marx est vrai, on s’est fait avoir par l’argent…

Allez, son trampoline, c’est vrai que les gosses vont adorer, et puis ça fera une nouvelle activité sur la plage, tous les habitués du Club vont vouloir l’essayer, je pense qu’il faudra même quelqu’un à l’entrée pour distribuer les jetons et que personne ne gruge… hum, je sais à quoi je vais passer mes soirées, tiens, au lieu d’aller manger une glace sur le port de St Martin, il va falloir que je fasse les comptes, c’est sûr… Vivement septembre, en fait, qu’elle retourne donner ses cours de gym et moi aligner les chiffres des autres dans les bonnes cases…

A propos de Gwenn Abgrall-Servettaz

Après quelques décennies de balades, lectures, gamberges, création de famille ou d'entreprise ... se dire qu'on peut réaliser ce fameux rêve d'écriture, nourri en secret mais trop vaste pour rester tapi en soi, puis oser le rendre publique. Voici quelques tentatives de tracer lignes et croisements entre vies quotidienne, familiale, amicale et imaginaire... work in progress, donc.

2 commentaires à propos de “#été2023 #06 | l’argent – puisque tu veux pas qu’on en parle”

  1. J’adore le titre (comme une réponse à la proposition de François ? 🙂 ) et le réalisme de la scène. Tout un programme ce binôme argent-famille qui pourrait faire tout un livre ! Merci, Gwenn !