autobiographies #12 | mémoire d’une cuisine

Le buffet deux-corps il est de style art déco il est décoré de grosses fleurs et de feuillages en reliefs qui ont été repeints de couleurs vives sur un fond blanc dans la partie du haut deux portes aux motifs symétriques séparées par un étroit panneau fixe à fines rayures multicolores du côté droit les verres à eau des verres verts des verres violets des verres jaunes des verres rouges et des verres à moutarde empilés les uns dans les autres et derrière le panneau de séparation ils sont difficiles à atteindre les grands verres les grands verres pour la bière avec les chopes biseautées pourvues d’une anse quant aux verres à vin aux verres à pieds ils sont à gauche placés le pied en l’air le bord du verre reposant sur la planche et il y a un miroir entre les deux parties du buffet un grand plat est posé devant un grand plat en terre brune de la forme d’une barque il est plein de légumes des poireaux du gingembre des carottes deux navets de l’ail des salades il se reflète dans le miroir à côté d’une fiole de médicament naturel acheté à la gare du nord dans le quartier indien il est au marron d’inde pour la circulation un tube d’Acerola un petit flacon étiqueté Ergy D une boite cylindrique blanche en plastique annonçant Ergyphilus plus qui fait du bruit quand on l’agite c’est qu’elle est à demi remplie de punaises dorées deux crayons un bic rouge un billet de train beige Toulouse Matabiau-Paris trois élastiques et un trombone dans une coupelle transparente l’espace entre le buffet et le coin du mur est occupé par les sacs-plastiques des sac-plastiques qu’on garde au cas où et le tas monte plus haut que la partie inférieure du buffet plus haut que les deux tiroirs très lourds et qui se coincent facilement celui de gauche rempli à ras-bord de couverts en argent et en aluminium de couteaux à manches en bois à manches en corne couteaux de cuisine couteaux de table couteau à gigot âgé de plus de cent ans une cuillère géante en argent un couteau à pain une louche en aluminium nickel des dizaines de petites cuillères allongées à angle droit des couteaux et des fourchettes dans le range-couverts en bambou et dans le tiroir de gauche se serre le fatras des choses qu’on fourre là deux pelotes de ficelle une grosse et une mince un lot de petites cuillères en plastique blanc tenues par un élastique un hachoir vénérable il a appartenu à une arrière arrière grand mère une liste de courses indiquant Javel sucre petits-pois sirop d’orgeat biscottes yaourts un stylo-mine, 2 briquets un grand bleu et un petit jaune deux paires de baguettes une boule à thé plusieurs élastiques de différentes tailles épaisseurs et couleurs des pinces à linges alignées sur un carton des bouchons beaucoup de bouchons qui menacent de déborder qui rendent la fermeture du tiroir aléatoire et sous les tiroirs s’ouvrent deux portes dont les motifs symétriques sont les mêmes qu’en haut mais peints de couleurs différentes des couleurs franches des couleurs toniques des couleurs chaudes à l’intérieur les mugs et les bols sont rangés à droite ils sont entassés encastrés les uns dans les autres ou simplement posés les uns sur les autres parfois en équilibre instable à gauche s’ébattent les moules à tartes un blanc en céramique plusieurs en métal certains en aluminium le moule à savarin le moule à manqué le moule à diplomate aux formes cannelées un grand en duralex rond deux en pyrex rectangulaires le petit dans les bras du grand un livre de cuisine intitulé Pains-maison d’ici et d’ailleurs sur la couverture plusieurs pains sont photographiés dans un plat tenu par deux mains enfarinées il y a un morceau de pâte durcie collée sur le carton plastifié et contre le mur qui fait le coin avec les sacs-plastique c’est le petit meuble en bois blanc sans portes sur les planches duquel on entrepose les gros objets la friteuse le couscoussier la marmite à confitures le fouet et le presse-purée électriques et la tablette supérieure est occupée par la cafetière électrique au support et à l’anse en plastique noir et le grille-pain derrière lequel une corbeille rectangulaire en jonc tressé d’une couleur rose passée est appuyée verticalement contre le mur à côté d’une petite fourchette en bois pour récupérer les tranches sans se brûler non loin de la table massive art déco elle aussi recouverte d’une peinture blanche écaillée par endroits son plateau est épais d’une trentaine de centimètres et ses pieds on devrait dire ses jambes galbées deux par deux en forme de lyre se posent sur le sol carrelé de larges dalles beiges la table elle est placée tout près du meuble en bois blanc à cause du grille-pain pour qu’on puisse l’atteindre en cas de petit-déjeuner elle est chargée d’une foule d’objets un petit plateau en métal présentant deux salières de table en verre cannelé et couvercle en métal percé de trous réguliers deux salières où des grains de riz sont mêlés au sel une poivrière de même modèle pleine de gris une burette d’huile un pot à moutarde en porcelaine blanche sa petite cuillère en bois le manche dépasse sous le couvercle en passant par l’encoche pratiquée au bord le plateau est placé à côté d’un pot de fleurs ornés de dessins bleus et jaunes de style espagnol d’où s’élance une gerbe d’épis une carafe en pyrex à demi pleine avec des tranches de citron vert nageant dans l’eau une pile d’assiettes en attente de rangement une bouteille de vin rouge non débouchée un journal plié sur lequel est posé un verre vide une pile de plaques de chocolats 95 % de cacao une pile de livres dont celui du dessus annonce Honoré de Balzac Le père Goriot un poste transistor noir avec son antenne dressée il y a trois chaises cannelées disposées aux trois côtés de la table celle du centre est réservée au chat elle est recouverte d’un molleton plié le quatrième côté n’a pas de chaises il donne sur la porte-fenêtre qui s’ouvre avec difficulté les vitres en sont pleines de feuillages la vigne en garnit le haut avec au second plan la table ronde et blanche et trois fauteuils baroques à hauts dossiers en tiges de métal d’un noir brillant au coin gauche de la porte-fenêtre c’est le frigo dont la porte est recouverte de cartes postales portant des citations Je suis contre les femmes tout contre Sacha Guitry les journées perdues sont celles où on n’a pas ri Oscar Wilde April is the cruellest month TS Eliot la photo en noir et blanc d’un jeune couple intitulée Vincent et Cendrine un magnet représentant une cabine téléphonique rouge à petites carreaux retenant une liste de course fromage balayette riz pâtes thé céleri une liste de numéros utiles pompiers police électricien plombier alcooliques anonymes menuisier femmes battues livraison de pizzas le frigo est plein à craquer de produits qui défient l’énumération sur les planches dans le bac à légumes dans les compartiments qui garnissent l’intérieur de la porte mais le bac à glace loge les glaçons et un patch médical bleu pour soulager la douleur d’une bouteille de bière gelée sur le dessus du frigo les croquettes pour le chat et les bocaux d’épices il y en a tant qu’on renonce à les énumérer d’autant plus que le placard accroché au-dessus en est également rempli des épices de l’Inde du Maroc de la Chine de l’Indonésie du poivre vert de Sishuan du poivre blanc de Kampot du poivre rouge de Corée dans des bocaux identifiables à leurs étiquettes roses écrites à la main et maintenues par deux morceaux de scotch transparent des boîtes en métal de toutes tailles et couleurs couleurs passées motifs variés contenu pas toujours indiqué le placard suivant contigu au premier contient les thés tous les thés sur la planche du haut et en bas les confitures le miel le sucre en morceaux dans une boîte en métal ornée de jolies marquises les ingrédients pour la pâtisserie sachets de levure sachets roses de sucre vanillé farine sucre en poudre cassonade caramel liquide dans sa bouteille boules de sucre dorées dans leur bocal boîte de roses en sucre La Patellière toute en rose et vert le placard suivant contient les grandes boîtes de céréales pour petit-déjeuner les corn flakes les blés soufflés les pétales au chocolat le muesli aux raisins secs le porridge orné de son quaker à grand chapeau et en bas les amuse-gueules indiens de toutes formes dans des sacs en cellophane et sur le dessus des placards sont placés des objets poussiéreux qu’on ne touche jamais un petit tagine marocain en terre cuite avec son couvercle conique une théière en métal un berger et une bergère en céramique et occupant le coin se dresse la hotte pourvue d’un interrupteur pour aspirer les odeurs par la grille qui la tapisse et d’un autre bouton pour allumer une lampe elle surmonte la plaque cuisinière qui est au gaz à quatre feux dont un électrique et se prolonge par un long plan de travail carrelé de brun qui s’étend jusqu’au frigo et sur lequel sont posées les cuillères en bois dressant leurs ovales aux bords usés presque plats ou très creusés les bouteilles d’huile alignées avec le vinaigre deux allume-gaz un noir et un rouge le four à vapeur chromé surmonté d’un torchon enveloppant le pain et sous le plan de travail contre le bas du frigo deux profonds tiroirs celui du haut plein de couvercles en métal de tous acabits l’un d’eux est équipé d’une poignée en ficelle il y a bien là une vingtaine de couvercles et l’autre tiroir celui du bas abrite les casseroles emboîtées les unes dans les autres selon leurs gabarits et contre le montant qui soutient le plan est adossée une petite étagère une série de petits casiers où sont rangées les planches à découper et deux paires de couverts à salades l’un en corne très fendillé l’autre de grande taille en plastique fuchsia et plusieurs couteaux à pain puis entre cette étagère et la bouteille de gaz se trouve les deux poubelles dont une possède un couvercle à bascule à côté du seau en plastique pour les bouteilles vides l’évier est séparé de la plaque cuisinière par un petit plan de travail lui aussi carrelé de marron c’est un évier double celui de droite est garni d’un tapis de fond en plastique blanc ou qui a été blanc et celui de gauche est occupé par une bassine rouge pour le rinçage de la vaisselle les produits de lavage sont disposés sur le rebord contre la faïence du mur les éponges occupent un porte-savon suspendu à un crochet fixé au mur par une ventouse il y a plusieurs éponges d’âges différents la neuve jaune vif d’un côté et vert profond de l’autre en pleine santé bien gonflée et deux autres blanchâtres recroquevillées durcies et hérissées de touffes vertes comme quelqu’un qui perd ses cheveux un tampon jex paraît se tenir à l’écart comme dégoûté des ustensiles accrochés à une barre de métal tout du long au dessus de l’évier des passoires petites moyennes et grandes un chinois plusieurs paires de ciseaux 2 tire-bouchons chromés Degaulle un fouet deux écumoires une ronde et une carrée et sous l’évier une planche pour les produits ménagers les chiffons les serpillières un seau bleu pâle une balayette et sa partenaire-pelle le tout masqué d’un rideau de coton à petites fleurs brunes sur fond blanc accroché par des anneaux à une tringle en métal qui fait toute la largeur de l’évier prolongé par un dernier bout de plan de travail de petite superficie encombré de journaux et aux coins arrondis sous lequel une planche supporte des rouleaux de sopalin et des paquets de mouchoirs en papier jouxtant la porte qui s’ouvre sur le vestibule perpendiculaire à l’autre porte qui donne sur le salon et qu’on garde le plus souvent fermée à cause des odeurs et devant laquelle se tient un panier à légumes à trois niveaux pour les patates et les oignons et branché à la prise en bas du mur à côté du buffet il y a le rice cooker blanc avec son couvercle transparent surmonté d’une boule noire.

A propos de bizaz

chanteuse de chansons - voyageuse sans itinéraire prévu.

2 commentaires à propos de “autobiographies #12 | mémoire d’une cuisine”

  1. pourquoi ? les objets vont se mettre en branle en danse macabre ? la cuisinière fine saoûle va pulvériser les verres, fracasser les casseroles, avaler les éponges ? à suivre donc.